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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/831

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toute ambition? Il est au moins permis d’en douter. Tout porte à croire qu’il résisterait à outrance : ce serait une lutte à mort entre lui et le congrès. Aussi paraît-il s’équiper en guerre. Il a soigneusement distribué les commandemens militaires à ses partisans les plus dévoués; il a peuplé son cabinet d’hommes d’action qui sont dans sa main. Il a 130 millions de dollars dans le trésor, et le ministre des finances ajoute sans cesse à cette somme. La marine lui est fidèle, il la tient tout armée à la porte des grandes villes du littoral. Il a assemblé dix mille hommes dans Washington. Enfin il semble résolu à se défendre dans son gouvernement comme dans une forteresse armée, et à en chasser le congrès à coups de fusil. Il insurgerait une seconde fois les états du sud, il armerait les démocrates dans les grandes villes du nord, et alors s’engagerait une lutte formidable, qui pourrait être fatale à la république, si l’armée tout entière soutenait l’usurpateur, et si les bons citoyens ne pouvaient compter sûrement sur le patriotisme du général Grant.

Espérons pourtant que ces frayeurs seront vaines. Le président a dans ses conseils un homme d’état supérieur qui a pu commettre des fautes, mais dont la sagesse douce et conciliante répugne à l’emploi de la force brutale, dont surtout le passé est lié trop glorieusement à la défense de l’union nationale pour qu’il veuille déshonorer la fin de sa carrière par une rébellion criminelle contre les lois de son pays. Ce ministre, que tout le monde a deviné, M. Seward, n’épargnera aucun effort pour amener entre le président et le congrès un arrangement qui leur permette de se supporter mutuellement pendant les deux ans qu’ils ont à vivre ensemble. On lui attribue un plan nouveau qui consiste à détourner l’attention du pays vers la politique étrangère et à ressaisir une popularité qui s’échappe, en prenant une attitude arrogante à l’égard des puissances européennes. On épouserait la querelle des Irlandais fenians contre l’Angleterre; on envahirait le Canada sous le prétexte de protéger contre l’impitoyable sévérité des lois anglaises ceux des prisonniers fenians que les tribunaux canadiens ont condamnés à la peine de mort. On exigerait de l’Angleterre le paiement immédiat des indemnités réclamées pour les déprédations du corsaire confédéré l’Alabama. Enfin sur la question du Mexique on ne se contenterait plus des obligeantes promesses d’évacuation qu’a faites la France, mais on enverrait au besoin une armée américaine assister le président Juarez à pousser dehors le prétendu empereur, en se réservant pour prix de ses services une certaine part de terre mexicaine. Telle est en effet la politique que le message du président semble recommander au congrès, et dont l’ordre de retour expédié aussitôt à l’armée française nous a déjà annoncé le succès.