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dans les tendances mêmes de l’art et des artistes, nous n’espérons pas les démêler toutes; nous pouvons du moins en signaler une qui a fait plus de mal qu’on ne le croit, je veux parler de cette hâte d’arriver tout d’abord au succès et à la fortune qui est devenue si générale. C’est cette impatience qui rend les bons tableaux si rares et les médiocres si nombreux. En tout genre, pour atteindre la perfection, il faut un long travail. Presque toujours les œuvres qui passent à la postérité sont le fruit d’efforts persévérans appliqués à féconder les dons de la nature. C’est une ancienne maxime qu’en fait d’art le temps ne respecte que ce qu’on a mis du temps à produire. Même en peinture, où les facultés naturelles semblent suffire seules à faire un grand artiste, à quel long travail préparatoire ne se sont pas soumis les mieux doués, Michel-Ange ou Raphaël par exemple! Quelle étude assidue du dessin, que de croquis, que d’ébauches, que d’essais successifs pour arriver au contour le plus correct, le plus élégant, fût-ce même d’une figure accessoire! On ne peut se faire une idée de cet immense travail préliminaire qu’en feuilletant les cartons des grands musées publics de Paris ou de Dresde. C’est cet obscur, ingrat et pourtant indispensable travail de préparation qui est trop souvent négligé par les jeunes artistes contemporains. Ce qui est surtout regrettable, c’est que ce sont ceux précisément dont les dons naturels sont le plus remarquables qui négligent d’ordinaire de s’imposer les études nécessaires pour en tirer parti. Pressés de jouir de la vogue du moment, ils s’enrôlent sous la bannière d’écoles exclusives, qui, préconisant tantôt la fantaisie, tantôt l’imitation exacte de la réalité, font à leurs sectateurs un succès retentissant dont il ne reste rien quand la mode vient à changer. Leurs tableaux se vendent, et l’on parle beaucoup d’eux; que peuvent-ils désirer de plus? La faveur momentanée de la foule leur donnant à la fois de l’or et un nom, pourquoi se voueraient-ils à un labeur austère et improductif? Pour s’y condamner, il faut être poussé par ce culte désintéressé de l’art, par ce fier respect de son propre génie qui déterminait Virgile à sacrifier comme trop imparfait son immortel poème, et qui désespérait Raphaël quand, malgré ses persévérans efforts, il ne parvenait pas à reproduire l’idéal qu’il avait conçu, ou bien il faut être animé de la noble ambition de conquérir une gloire durable aux dépens des succès immédiats et au mépris des bénéfices qu’ils rapportent. Malheureusement ce sont là des sentimens qui n’ont plus guère d’empire aujourd’hui. Le culte de l’art semble être devenu un mot sonore et creux qui a singulièrement vieilli, et quant à la gloire, on la considère volontiers comme un leurre bon à piper les simples, mais auquel ne se laissent plus prendre les gens sensés, qui, tenant en grande estime le bien-être