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position de la Saxe. Abaissée au XVIIIe siècle, ébréchée au XIXe, placée entre deux états puissans, elle s’est tournée vers celui qui menaçait le moins sa sécurité, vers l’Autriche, gardienne des vieilles formes légales, conservatrice des vieux droits. — Je réponds que cette politique timide, bien loin d’éloigner le péril dont on avait raison de se préoccuper, en créait un autre plus redoutable ; elle favorisait la naissance d’un parti prussien au sein de la nation saxonne. Le seul moyen pour la Saxe de limiter l’action progressive de la Prusse était de la suivre sur son propre terrain, de marcher du même pas, de développer comme elle toutes les énergies morales de la nation. Si on ne pouvait réussir à l’égaler, du moins ne lui donnait-on pas des armes contre soi : on empêchait les hommes de progrès, les partisans de l’action et de l’unité germanique de tourner leurs regards vers Berlin. Il y a en Saxe une forte sève indigène qui ne demandait, qui ne demande encore qu’à se déployer. Les journaux prussiens se sont beaucoup moqués dernièrement de certain manuel d’histoire à l’usage des écoles primaires où se lisent des réponses comme celle-ci : « Quel est le centre de l’Europe ? L’Allemagne. Quel est le centre de l’Allemagne ? La Saxe. Quel est le cœur de la Saxe ? Dresde. » Ces prétentions naïves ne sont après tout qu’un souvenir des choses d’autrefois, et, si elles nous font sourire, c’est par le contraste du rôle amoindri de cette malheureuse contrée avec le rôle viril qu’elle aurait pu remplir. N’est-ce pas de la Saxe qu’est sorti le mouvement de la réforme, c’est-à-dire l’œuvre la plus germanique du monde moderne ? N’est-ce pas la Saxe qui a donné à l’Allemagne du nord l’énergique ferment de vitalité dont la Prusse profite aujourd’hui ? Or, puisque les gouvernemens saxons, du XVIe siècle au XVIIIe, ont permis qu’un voisin plus faible d’abord, mais plus actif et plus tenace, lui enlevât la direction de l’esprit allemand, pourquoi donc au XIXe siècle un gouvernement meilleur, instruit par l’expérience, n’eût-il pu reprendre sa bannière des anciens jours, et, sans disputer à la Prusse une prééminence incontestable, s’assurer du moins une place à l’abri du péril ? C’est en prévenant les annexions morales qu’on empêche les annexions réelles. On a fait trop souvent le contraire. Comment le cabinet de Dresde n’a-t-il pas compris, surtout depuis 1848, que sa politique autrichienne ne pouvait que favoriser le développement d’un parti prussien sur la terre saxonne ? En se montrant infidèle et aux traditions passées et à l’esprit du siècle, il jouait le jeu de son ennemi. Cette infidélité aux traditions nationales a été poussée si loin que M. le comte de Vitzthum, écrivain protestant, n’hésite point à renier et à maudire ce qu’il y a eu de plus glorieux pour la Saxe dans l’histoire des trois der-