Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces vingt dernières années, elle ne reprochera point à M. de Beust en particulier, d’avoir voulu s’opposer au progrès menaçant de la Prusse ; elle lui reprochera de l’avoir combattu si timidement. Il fallait tenir les esprits en éveil au lieu de les engourdir, il fallait développer les forces allemandes au lieu de laisser cette arme puissante aux seules mains de l’ennemi. Des révélations récentes[1] nous apprennent que le gouvernement saxon en 1848 avait noué des négociations avec les Saxes ducales pour réunir toutes leurs armées sous un commandement unique. M. de Pfordten était alors ministre des affaires étrangères dans le cabinet de Dresde. D’après ce projet, le roi de Saxe aurait eu à l’égard des ducs ses voisins la même position que le roi Guillaume vient de s’attribuer à l’égard du roi Jean. Ce plan, dont les commotions de 1848 empêchèrent la réussite, pouvait certainement avoir d’heureux effets ; c’est à une pensée bien autrement féconde que les hommes d’état saxons auraient dû demander le salut de leur pays. Quelques milliers d’hommes de plus ou de moins dans l’armée saxonne, qu’importe ? Est-ce par l’organisation militaire que la Saxe pouvait lutter contre la Prusse ? La chose urgente, c’était de la tenir en échec par les travaux de la paix et de la liberté, c’était de ne pas permettre qu’elle arborât à elle seule la bannière germanique. Une politique si loyale eût déconcerté les tactiques berlinoises. On n’aurait pas provoqué la formation d’un parti prussien à Leipzig, on n’aurait pas contraint les plus généreux enfans du pays saxon à une hésitation douloureuse entre la petite patrie et la grande.

Les fautes commises sont-elles donc irréparables ? La Saxe doit-elle se résigner à être absorbée un jour tout entière par les vainqueurs de Sadowa ? Après avoir été si longtemps autrichienne par timidité, faut-il qu’elle consente à devenir prussienne par découragement ? Nous espérons tout autre chose de son patriotisme. Sans doute on ne remonte pas le cours des siècles, et la Saxe n’enlèvera point à la Prusse cette hégémonie qu’elle lui a laissé prendre ; elle peut du moins, si le pouvoir et la nation marchent ensemble, maintenir sa place distincte au sein de la confédération du nord. Que le peuple et la maison royale renouvellent leur alliance, qu’une confiance généreuse dans les traditions du pays fasse oublier la timidité d’autrefois, que ces public spirits dont parle le Saxon Leibniz ne soient plus comprimés dans la patrie de Luther, la Saxe, quoi qu’il arrive, ne regrettera point d’avoir eu foi en elle-même.

Ces idées étaient si clairement indiquées par la nature des choses, qu’aujourd’hui encore nous en retrouvons la trace dans les mani-

  1. Voir dans les Grenzboten du 9 novembre l’article intitulé das Project der Militarhöheit Sachsens uber Thurinjen von 1848.