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heureuse de disparaître au sein de la nation prussienne. Étrange raisonnement ! la vraie conclusion est celle-ci : restons nous-mêmes, renouons la chaîne de nos destinées, réveillons notre esprit public si misérablement endormi, et puissent nos gouvernans, après de si terribles épreuves, comprendre enfin le rôle que nous assignent les transformations du XIXe siècle !

Au moment où le roi de Saxe était encore en Autriche et où l’on ne savait pas ce que deviendrait son royaume, un publiciste prussien, M. Henri de Treitschke, qui a relevé en quelques mots irrités le pamphlet du comte de Vitzthum, décrivait d’avance à sa manière le spectacle que présenterait la ville de Dresde, si le roi Jean était admis à rentrer dans sa capitale. Il ne parle pas du vieux roi, on peut le croire, comme en parle l’écrivain que je viens de citer. Toutes les rancunes et toutes les convoitises du particularisme prussien éclatent dans ces pages venimeuses. « Qu’on se représente, dit-il, le retour du roi Jean dans sa capitale, le conseil municipal de Dresde accueillant avec des paroles de vénération et de reconnaissance l’homme qui a ruiné son pays, les jeunes filles en robes blanches avec des couronnes de fleurs s’inclinant devant la couronne flétrie et déshonorée, les poètes du lieu apportant aussi leurs guirlandes. Ah ! que de mensonges imposés à la loyauté germanique ! À cette seule pensée, le cœur se soulève de dégoût[1]. » Le mensonge est dans ce tableau du pamphlétaire. Mauvaises, mauvaises paroles, prophétie perfide et fausse ! Les choses ne se sont point passées de la sorte. Le roi Jean est rentré grave et digne dans la Saxe amoindrie. Les acclamations du peuple n’ont pas été une ovation niaisement hypocrite, elles ont été une consolation et un encouragement. Devant les députés du pays, le roi a dit simplement, noblement, avec la sincérité qui l’a rendu vénérable entre tous : « Comme j’ai été un loyal serviteur de l’ancienne confédération germanique, je serai un serviteur loyal de la confédération du nord. » Cette promesse faite à la Prusse est aussi une promesse à la patrie saxonne. Dans une fédération de monarchies comme dans une fédération de républiques, n’est-ce pas servir la cause commune que de faire prospérer la vitalité particulière de chaque état ? Si l’auguste vieillard, réconcilié avec l’esprit du siècle, comprend ainsi les leçons de l’histoire, il a encore une grande tâche à remplir, tâche ardue, mais féconde, et pour laquelle il vaut la peine d’être roi.


Saint-René Taillandier.
  1. Die Zukunft der norddeutschen Mittelstaaten, von Heinrich von Treitschke ; Berlin 1866.