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aux héros et héroïnes que nous verrons ensuite figurer dans le poème définitif des Nibelungen.


II.

Les trois Ases ou dieux, Odhin, Loki et Hœnir, se promenant un jour sur la terre, tuèrent la loutre Ottur, nain vivant sous forme animale[1], fils d’un certain Hreidmar ; puis, emportant sa fourrure, ils allèrent demander l’hospitalité à Hreidmar lui-même, qu’ils ne connaissaient pas, et qui, s’apercevant du meurtre commis sur la personne de son fils, voulut les mettre à mort à moins qu’ils ne lui offrissent une composition suffisante. Or il n’exigeait rien moins qu’une quantité d’or capable de remplir et de recouvrir jusqu’au dernier poil la peau de la loutre. Pour se la procurer, Loki dut ravir par la ruse et la violence le trésor possédé par le brochet Andvari, autre nain métamorphosé, qui, forcé d’abandonner ses richesses et l’anneau (Andvara-Naut) avec lequel il pouvait en créer de nouvelles à volonté, y attacha une malédiction devant entraîner la mort violente de tous ceux qui les détiendraient par la suite. Cette saga est comme le prologue, l’introduction explicative de celles qui vont suivre. Aucun des personnages qu’elle met en scène ne se représentera par la suite. Seule, la malédiction prononcée par Andvari va planer sur les héros des récits que nous allons analyser.

En effet, Fafnir, fils de Hreidmar, tua son père pour devenir maître du trésor, et, chassant son frère Regin, il prit la forme d’un dragon monstrueux pour veiller jour et nuit sur sa conquête dans la bruyère dite Gnitaheide (la bruyère brillante). Le nain Regin s’enfuit à la cour du roi franc Hialprek (Chilpéric) qui régnait sur les bords du Rhin, et y remplit les fonctions de maréchal (au sens propre du mot). Il y rencontra le jeune Sigurd, fils du roi Sigmund, descendant d’Odhin, échappé miraculeusement aux meurtriers de son père. Il dirigea son éducation et lui parla du merveilleux trésor en lui inspirant le désir de l’enlever à Fafnir. Il lui forgea l’épée Gram, dont la lame coupait si bien que, plongée dans le Rhin, elle fendit un flocon de laine poussé contre elle par le courant du fleuve, et lui dressa l’incomparable cheval Grani. Le jeune héros, dont le nom est synonyme de victorieux, tira d’abord une vengeance éclatante des meurtriers de son père, dont le royaume, fabuleux ou non, doit être cherché au nord de l’Allemagne ; puis il partit avec Regin

  1. C’est une marque de haute antiquité de la légende que l’indifférence avec laquelle les personnages qui y remplissent un rôle revêtent ou quittent la forme animale.