Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/998

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Miga no, répondit la jeune fille[1].

— Je t’apprendrai comment il s’appelle, reprit le sous-officier, en te faisant donner sur la place publique autant de coups de baguette qu’il y a de lettres dans son nom.

— On ne donne pas la schlague aux Italiens, répondit Susannette ; cela est bon pour les Allemands.

La moustache blonde du sergent trembla de colère. Il leva sa canne en s’approchant de la jeune fille ; mais elle ne recula pas d’une semelle : les dents serrées, la main droite cachée dans les plis de sa robe, elle regarda fixement son adversaire entre les deux yeux. Le sergent abaissa son bâton, murmura quelques injures en allemand, et commanda au prisonnier de passer devant lui. Susannette tira alors sa main droite de sa robe ; elle tenait son couteau ouvert qu’elle ferma et remit dans sa poche.

— Et si ce fouetteur de femmes t’eût frappée ? lui dit la sabotière.

— Je l’aurais décousu, répondit-elle.

Don Alvise fit son entrée à San-Biaggio entre quatre soldats, comme un malfaiteur. La rue principale était encombrée de chevaux. Un vieux capitaine de hussards, maigre, osseux, au visage tanné, se leva d’un banc de pierre où il se tenait assis, fumant une grosse pipe de porcelaine, et demanda si ce prisonnier était l’homme aux farines. Sur la réponse affirmative du sergent, le vieux reître emmena Centoni dans une espèce de corps de garde, afin de l’interroger. Le hussard ne savait pas un mot d’italien, ni le prisonnier un mot d’allemand, c’est pourquoi on s’expliqua tant bien que mal en français. Centoni apprit qu’il avait à se défendre de l’accusation de manœuvres et de connivence avec les sujets rebelles de sa majesté impériale. Sans nier les faits à sa charge, il répondit simplement qu’il avait usé de son droit de propriétaire en vendant ses blés à qui lui en offrait le prix le plus élevé. Le vieux militaire complimenta Centoni de sa franchise, et comme il avait l’habitude d’ajouter une à aspirée à tous les mots français commençant par une voyelle, il exprima sa satisfaction en disant que c’était là un parfait hinterrogatoire.

En ce moment, un jeune aide-de-camp, à chevelure blonde, à taille de guêpe, monté sur un cheval très fringant, s’arrêta devant le corps de garde. Il échangea quelques mots en allemand avec le hussard, et lui parla ensuite en français, dans l’intention évidente d’être compris du prisonnier.

  1. Les Vénitiennes ont tant de goût pour les particules négatives, que parfois elles s’amusent à les accoupler pour en faire une affirmation. C’est comme si en français on disait pas non, au lieu de oui.