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il était parvenu sous Timour, et deviendra pour les Indes un voisin des plus inquiétans.

Le Turkestan est dès à présent pour les Russes un marché précieux où leurs manufactures encore dans l’enfance écoulent les produits dont elles auraient peine à se défaire en Europe. La valeur des marchandises qu’elles envoient dans l’Asie centrale ne se montait encore en 1855 qu’à 10 millions de francs ; mais ce chiffre avait doublé en 1860, et chaque année il s’accroît dans une rapide proportion. De leur côté, les khanats expédient à Orenbourg une quantité considérable de matières premières, en tête desquelles il faut placer le coton de Boukhara, qui, pendant la guerre d’Amérique, a permis aux négocians russes de réaliser d’immenses bénéfices. Aussi l’attention du gouvernement s’est-elle tournée vers la culture de ce textile, dont il songe à entreprendre l’exploitation sur une large échelle. « Les propriétaires ozbegs, lisons-nous dans l’instructive publication de M. Michell, trouveraient de grands avantages à convertir leurs terres en champs de coton, dont ils placeraient les produits, non dans les fabriques indigènes, mais dans les filatures russes. Si l’on réussissait à introduire chez les Turcomans les machines employées par les Américains, le coton de l’Asie centrale pourrait à l’avenir lutter contre les produits similaires venant de l’étranger ; toutefois, pour réaliser ces améliorations, il faudrait fonder près de Boukhara une factorerie où les indigènes seraient initiés aux meilleures méthodes de culture. » Selon M. de Khanikof, qui visita la Tartarie en 1842, il serait facile d’augmenter dans le khanat de Khiva l’étendue des terres arables au moyen d’une irrigation artificielle, et dans le Kokand la fertilité du sol, l’abondance des eaux, permettraient d’obtenir un coton d’excellente qualité.

Voilà donc l’Asie centrale convertie en une immense plantation dont l’empire russe absorberait tous les produits et tous les bénéfices. Ce résultat obtenu, tout ne serait pas fait encore, et la Russie aurait plus d’une difficulté à vaincre pour s’assurer dans ces parages une supériorité incontestée. L’émancipation des serfs ayant fait hausser considérablement le prix de la main-d’œuvre, et les transports continuant à être fort coûteux, les manufactures de Moscou, Kalouga, Vladimir, soutiennent avec peine la concurrence des fabriques de Boukhara et d’Ourdjendj, dont les tissus, moins brillans à la vérité, ont l’avantage d’être plus solides et à meilleur marché ; mais leurs rivaux les plus à craindre sont les négocians anglais, dont la ténacité proverbiale est incessamment1 à l’œuvre pour introduire les produits britanniques dans la vallée de l’Amou-Daria à travers l’Afghanistan et les passages de l’Hindou-Kouch.