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idées et des émotions que subissait avec eux le monde de leur temps ? La légende est bien la peinture intellectuelle de nos existences, comme les créations de l’artiste sont l’histoire de sa pensée.

Le Coq aux cheveux d’or est la reconstruction de toutes pièces d’un monde qui n’est plus. A-t-il jamais existé, ce monde perdu de l’Atlantide, dont toute l’antiquité atteste la splendeur et déplore le désastre ? Les érudits de nos jours, frappés de la coïncidence de ces chroniques traditionnelles, cherchent encore la trace évanouie du royaume des Atlantes à travers les brumes obscures de l’âge antéhistorique et les dislocations géologiques qui révèlent l’histoire de la planète.

Quoi qu’il en soit, et en attendant une découverte toujours possible, le rêve d’une civilisation disparue est toujours dans les notions de l’homme qui se reporte à la contemplation de ses origines religieuses et sociales, et il n’y a rien là qui choque la raison. Les derniers bouleversemens considérables de l’écorce terrestre ont pu engloutir une contrée vaste ou florissante, une antique Albion de l’Orient, ou une petite république comme celles de la Grèce, qui firent tant de bruit en occupant si peu de place. A cet écroulement d’un monde, centre relatif des lumières de nos ancêtres, a pu succéder une longue période de barbarie au sortir de laquelle l’homme, croyant commencer son histoire, ne fit que la recommencer, et se nourrir des mythes vaguement conservés dans ses traditions, en s’imaginant fonder des dogmes et se servir de symboles nouveaux.

De tous les sujets qui piquent la curiosité et font travailler l’imagination, la catastrophe de l’Atlantide est peut-être le plus saisissant. Les anciens avaient esquissé ce drame horrible et prodigieux. Notre déluge de Noé en est une version merveilleusement empreinte du caractère positif de la race sémitique. Le patriarche emmagasine dans son arche les dons et les fléaux de Dieu, sans autre motif qu’un esprit d’ordre qui va jusqu’à la passion de l’inventaire. Dans la légende du Coq, le mage Xizouthros exprime des idées plus hautes et des vues plus profondes :

« Comme les laboureurs et les femmes se plaignaient de ce fléau (les rats et les souris qui avaient pénétré dans l’arche et menaçaient les provisions) :

— Sachez, leur dit le mage, que j’ai embarqué le tigre, le vautour et le serpent qui sont des ennemis plus redoutables.

« — Pourquoi as-tu fait cela ? lui dit Pyrrha, la femme de Deucalion,

« — Apprends, répondit Xizouthros, qu’Aboura-Mazda n’a rien créé d’inutile, et que nul n’a le droit de lui dire : Ceci est nuisible, ou : Cela est de trop. Le sage qui se voue à la connaissance des secrets divins arrive à découvrir dans les venins et les poisons de puissans remèdes ; si vous ne savez pas encore tirer le bien du mal apparent, ne vous en prenez qu’à vous-même, et n’accusez pas le souverain bien de n’avoir pas su ce qu’il faisait. »

S’il y avait déjà de tels rayons de lumière dans l’esprit des sages, — nous ne voulons pas chicaner l’auteur après avoir cité cette courte et forte leçon, — il était bien permis de ressusciter un instant l’empire des Atlantes pour