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Ce devoir rempli, il charge deux de ses hommes d’aller trouver Kamrasi, de lui dire combien il était indigné de l’odieuse conduite qu’il tenait à son égard et de lui faire savoir qu’ayant remis son départ à une année, il était disposé à se rendre auprès de lui et le priait de lui envoyer cinquante porteurs. C’est ce que voulait Kamrasi. Les cinquante hommes ne se firent pas longtemps attendre, et en six jours Baker arrivait à Kisona, où le roi avait établi sa demeure et son camp. Cette ville, située à 16 kilomètres au sud du Nil, renferme trois mille huttes et une population considérable. Il y resta six mois, pendant lesquels Kamrasi lui fournit un ordinaire vraiment royal. La viande ne lui fit jamais défaut, mais il ne pouvait avoir de la volaille, parce que les magiciens de la couronne s’en servaient pour lire dans les entrailles et les convulsions de ces victimes les événemens de l’avenir. Chaque matin, des marchands ambulans parcouraient les rues de la ville en criant leurs marchandises et indiquant l’objet contre lequel ils voulaient les échanger. Du tabac pour des couries ! Du lait pour du sel ! Du beurre, du café pour des jénitos (verroterie rouge) ! Leur beurre était empaqueté dans des feuilles de plantain collées avec un mélange d’argile et de bouse de vache. Comme cette matière donnait un mauvais goût au beurre, le voyageur le refuse un jour. Le marchand lui rapporte d’autre beurre proprement enveloppé, il le goûte et le trouve excellent ; mais, quand on veut s’en servir, on s’aperçoit que c’est le vieux beurre entouré d’une légère couche de beurre frais et recouvert de feuilles vertes.

Kamrasi était en guerre avec son frère. Un matin les tambours battent la générale, l’alarme est dans la ville. On apprend que l’ennemi s’approche accompagné de Mohammed, le facteur de Debono, qui vient avec sa troupe mettre tout à feu et à sang. Les femmes s’agitent et poussent des cris lamentables. Les hommes se réunissent, s’excitent, se montrent animés d’un grand courage, simulent des combats, enfoncent les bataillons ennemis. Le roi entre tout effaré dans la tente de Baker. Il avait échangé son lourd manteau d’écorce contre un vêtement léger ; notre voyageur l’en félicite en lui disant qu’il serait plus agile pour le combat. — Pour le combat ! mais c’est pour me sauver que je me suis ainsi vêtu, repartit Kamrasi. — Baker hissa le pavillon anglais sur sa tente, et fit savoir à Mohammed qu’il réclamait comme le premier occupant le territoire de l’Unyoro, qu’il l’avait placé sous l’égide des couleurs anglaises et qu’il eût à se retirer. Bien que celui-ci fît une réponse assez fière, il jugea prudent d’obtempérer à l’invitation de l’étranger. Un mois plus tard, c’est le fameux roi de l’Uganda, M’tesa, qui fait irruption dans le pays avec une puissante armée. Kamrasi accourt pour demander