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ne fut jamais un compositeur sérieux. Ses opéras, non plus que les divers fragmens qu’il a laissés, ne répondent à l’idée qu’on s’en fait en lisant ses écrits. Entendre un opéra d’Hoffmann, que de fois j’avais entrevu cette jouissance comme une des plus délicates qu’on se puisse promettre! Une cruelle déception m’attendait, et je n’oublierai jamais l’espèce de stupeur qui me prit à cette audition tant souhaitée. C’était à Berlin en 1842, un maître que j’avais souvent fait sourire par mes élans d’admiration préconçue me ménagea un soir cette surprise de parcourir au piano, du commencement à la fin et pour mon entière édification, cette fameuse partition d’Ondine. À ce seul titre du roman de Lamothe-Fouqué mis en musique par l’auteur du Pot d’or, ma pensée évoquait tout un monde de mélodies à la Weber, de conceptions originales, presque bizarres, et je me disais que, si cela devait pécher par un côté, c’était par l’excès de romantisme; ce fut exactement le contraire qui arriva. Rien qui rappelle le moins du monde le remue-ménage chaotique, le va-et-vient continuel d’ombres et de rayons, de réalités et de fantômes dont ses œuvres littéraires m’offraient le spectacle; mais en revanche quelque chose de coulant, d’honnête et de bourgeois qui ressemble à ce que vous entendez partout. Quel dommage que tous ces opéras, ces ballets, ces morceaux de musique religieuse et autres n’aient pas été la proie des flammes! On serait alors si bien venu à se donner carrière sur les compositions de l’auteur du Conseiller Krespel ! Par malheur les œuvres existent, répondant à qui les interroge, et de tels témoignages ne se récusent pas. Chef d’orchestre et directeur de spectacles, Hoffmann savait son métier de façon à pouvoir en remontrer au plus habile; mais la musique, dont il connaissait à fond la théorie, qui d’ailleurs devait se charger de subvenir à son existence, n’était chez lui qu’une faculté secondaire qu’il tenait en réserve pour son usage particulier. Il était fait pour divaguer sur la musique, non pour composer. Lui-même s’explique à ce sujet dans une lettre à Hitzig. « Tu perds beaucoup de félicité à ne jouer d’aucun instrument, l’audition n’est rien, les sons du dehors ne nous apportent que des idées muettes, des sensations en quelque sorte étrangères; mais quand tu joues, quant au moyen des sons de ton propre instrument tu fais s’exhaler tes sensations les plus intimes, c’est alors que tu sens ce que c’est que la musique. La musique m’a appris à sentir, ou plutôt elle a réveillé en moi des sensations dormantes. Dans mes hypocondries les plus noires, je joue du Mozart, du Benda, et si le remède n’opère pas, il ne me reste qu’à me résigner... » Des idées musicales, il en avait plus que personne, seulement il les mettait dans sa prose. Ce n’est pas même, comme dit Hamlet, du caviar