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Si l’on revient de M. Giudici à M. Adolphus Trollope, quel contraste ! Autant le premier s’efforce d’être littéraire, ce qui est très italien, autant le second prend ses aises avec le lecteur, ce qui paraît devenir de plus en plus anglais. J’ai déjà fait entendre que quatre gros volumes, deux mille cinq cents pages compactes, c’est beaucoup pour l’histoire de Florence de 1107 à 1531. L’auteur se fait pourtant lire avec intérêt, précisément à cause de cette personnalité naïve qui s’étale. On ne se figure pas la consommation d’humour qui est faite dans ces volumes longuement médités, dans cette politique gravement et consciencieusement déduite. Il y a de tout, même de la gaîté, dans ce savant ouvrage. Je ne doute pas que les habitudes du romancier ne soient venues visiter de temps en temps l’historien dans la solitude austère des archives; mais l’exemple a été donné par des historiens plus grands et plus autorisés. Carlyle a fait école; l’histoire a voulu être amusante comme un roman. En Angleterre comme en France, elle a entrepris de faire concurrence à la littérature des désœuvrés. Il n’y a pas d’école de Carlyle, si l’on entend par là un groupe d’historiens ou de publicistes partageant ses principes. M. Trollope est aussi loin que possible du culte des héros, hero worship, et des grands hommes à mission providentielle : ou chercherait en vain dans toute l’histoire de la république de Florence un personnage auquel il ait élevé un piédestal, si modeste qu’il fût. Il n’est pas moins ennemi de tout ce qui jette le discrédit sur les parlemens, de tout ce qui attaque le système des débats publics et le gouvernement par la parole. Il croit trop à la puissance du self-government pour être un anti-parlementaire; mais, comme plus d’un écrivain de notre temps, s’il a résisté aux idées du biographe de Cromwell et de Frédéric de Prusse, il s’est laissé aller à imiter sa manière.

Il est permis à Rabelais de comparer le lecteur philosophe à un chien qui ronge un « os médullaire. » Cependant parce que les Florentins du XIIIe siècle auront préféré un étranger à un citoyen comme podestà ou juge, ira-t-on les comparer à la même espèce canine subissant volontiers le joug d’un piqueur, pour avoir une distribution équitable dans les pitances? Pour le dire en passant, je crains que la comparaison n’ait aussi peu de justesse que d’élégance. Les cantons primitifs de la Suisse, race allemande pourtant, avaient des prévôts appelés exprès du dehors pour rendre la haute justice, c’est-à-dire pour prononcer sur les biens et sur la vie. L’auteur voudrait-il cependant étendre sa désobligeante comparaison à ces républicains des Alpes qui s’entendaient si bien à défendre leurs libertés? Ce n’est pas la seule fois que M. Adolphus Trollope est en défaut pour avoir oublié de faire la part des temps et des usages;