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publié, que le saint-père vous ait ouvert asile au Vatican, ne lui jouez jamais l’Invitation à la valse. Jouez-lui, tant qu’il daignera se les laisser infliger comme pénitence, vos cycles de la seconde et de la troisième manière, vos homélies sans paroles, vos légendes de saint Franciscus; mais que jamais, par vous, cette âme innocente et sublime n’ait confidence des troubles et des déchiremens humains dont la musique de Weber raconte le dangereux mystère!

La musique de danse avait jusqu’alors symbolisé l’étiquette des cours, la dignité, l’éclat, les plaisirs du monde; Weber lui fit chanter l’amour, l’ardeur des passions, et depuis elle n’a plus connu d’autre langage. Chopin, Strauss, reprenant, exagérant le thème, ont dramatisé la vie des salons presque à l’égal de l’opéra. Que de secrets n’allaient pas révéler aux cœurs les plus novices, les plus chastes, ces rhythmes chaleureux, ironiques, entrainans, démoniaques, ces modulations irritantes, capiteuses et comme imprégnées du parfum de l’arbre où le serpent se cache! Mélancolie, aspirations fiévreuses, vagues désirs, tout ce qu’il fallait auparavant aller chercher soit au théâtre, soit dans les romans, se trouva réuni dans le salon de bal. Le vertige fut complet, l’inhalation irrésistible. Si je voulais demander compte à Weber et à son école de leur influence sur les mœurs, j’estime qu’il y aurait en mauvaise part beaucoup à dire. Assurément mieux valaient pour la paix et l’honneur des consciences un Sébastien Bach, un Haydn, ces lumières du clavier bien tempéré. En musique comme ailleurs, l’heure était passée des pédagogues; je prends Weber tel que l’histoire me le présente avec l’esprit et le costume de son temps. Artiste, son influence morale fut par certains côtés regrettable, je l’avoue, et pourtant quel homme plus honnête, plus sincèrement dévoué à la famille, au devoir? Mais l’histoire a de ces ironies. Schiller, le futur auteur des Brigands, la voix du genre humain parlant par la bouche du marquis de Posa, commence par chanter à dix-sept ans la concubine du duc de Wurtemberg; Frédéric, le grand Frédéric qui ne parle que de liberté, n’a que des casernes. Sébastien Bach avait pour devise : soli Deo gloria ! et Weber : « que la volonté de Dieu soit faite! » et le génie de l’un n’en portait pas moins une vaste perruque in-folio, signe du temps, de même que le génie de l’autre, sévère et scrupuleux dans tous les actes de la vie, ne se faisait point un cas de conscience d’écrire l’Invitation à la valse. Ce rondo fameux, chef-d’œuvre de la musique de genre, devait-il passer du piano à l’orchestre? L’auteur sans doute ne le pensait pas, car, s’il l’eût pensé, il eût instrumenté sa composition, et si Weber ne l’a point fait, c’est qu’il trouvait apparemment que le piano seul convenait mieux. M. Berlioz nonobstant a transcris le morceau pour l’orchestre, instrumentation digne du maître et du disciple, et cependant j’ose