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propriété sur terre, on veut l’empêcher de parler et d’écrire. »

Voilà donc les appréhensions qui vous troublent ? Quand vous poussez ces cris d’alarme retentissans au nom du spiritualisme en péril, c’est à vos biens que vous pensez ! Et quand vous vous échauffez si fort en faveur de l’immortalité de l’âme, c’est que vous songez en réalité à l’immortalité du budget ! Quand vous dénoncez comme un piége de vos ennemis le principe de la séparation de l’église et de l’état, qui seul peut assurer votre indépendance, c’est que vous y voyez ces privations et ces sacrifices si chers à la primitive église. Non, vos dangers ne sont pas là ; regardez plutôt les églises coquettes et luxueuses qu’on vous bâtit partout. Est-ce donc pour des prêtres faméliques que s’élèvent à grands frais ces temples charmans de la dévotion aisée ? Il faut avoir l’imagination bien frappée pour y placer en idée les supplices de la tour d’Ugolin. Croyez-nous, successeurs des apôtres, craignez moins la pauvreté. Ce n’est pas la faim qui vous menace ; c’est la richesse, c’est le bien-être, ce sont ces chaînes dorées au moyen desquelles on s’assure de la docilité des églises nationales ! Voilà où vous mène directement votre attachement exagéré au « principe tutélaire des concordats ! » Si le sort de l’église russe vous paraît enviable, il ne tient qu’à vous de l’obtenir. S’il vous effraie, vous serez toujours libres de vous y soustraire ; mais ne craignez pas la pauvreté. Il y a des choses pires pour un prêtre, par exemple de tomber sous le joug et de devenir un fonctionnaire. Hommes de peu de foi, montrez plus de confiance dans la bonté de votre cause ! Il y a en France même et sous vos yeux de nombreuses églises qui vivent florissantes et prospères sans aucun secours de l’état ; pourquoi, vous qui vous appuyez sur tant de millions d’hommes, trembleriez-vous d’avance devant une épreuve que les pasteurs protestans affrontent avec de si faibles ressources ? Élevez vos cœurs et votre enseignement ; renoncez à des prétentions surannées, n’insultez plus personne pour des querelles métaphysiques, le Dieu devenir ne sera jamais dangereux pour les masses. Laissez là les eaux miraculeuses et les madones aux yeux mouvans ; abstenez-vous, s’il se peut, de maudire et de damner votre prochain ; enfin, ceci soit dit sans vouloir faire tort au dogme, souvenez-vous quelquefois que vous êtes les dépositaires du plus beau livre de morale qui ait paru parmi les hommes. Assez longtemps vous avez été les alliés ou les instrumens du despotisme, soyez une bonne fois les amis de la liberté, et, tenez-le pour certain, la liberté vous en récompensera ; mais surtout fiez-vous à elle, si vous voulez qu’elle se fie à vous !


P. Lanfrey.