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de même apparence que le premier s’offrît à quelqu’un de ces hommes pour que le signe adopté par lui prît à l’instant même une valeur générale. Et ce qui se passait pour un homme et pour un signe se passait nécessairement pour les autres hommes et pour les autres signes. L’étude des langues nous prouve aussi que les mots ont revêtu de très bonne heure le sens général, car ils désignaient toujours les objets par leur caractère le plus frappant et par celui qui se reproduisait dans le plus grand nombre de cas; de plus, comme ces objets étaient physiques et qu’il n’y a pour ainsi dire pas de choses naturelles qui ne soient plusieurs de la même espèce, le monosyllabe qui a primitivement désigné l’un d’eux a désigné presque aussitôt tous ceux du même genre.

Quant à la possibilité d’unir un son à une idée, de sorte que ce son représente cette idée, c’est là un fait qui est du domaine de la psychologie et qui n’intéresse qu’accidentellement la science de langage. Pour en rendre compte, il n’est point nécessaire de savoir si les bêtes ont des idées générales et un langage intelligible; c’est là, dans le livre de M. Müller, une digression absolument superflue. La psychologie a depuis longtemps élucidé ce fait important, qui découle de la loi de l’association des idées. Il n’importe nullement de savoir si une racine primordiale a été une onomatopée, comme l’a cru Herder, c’est-à-dire un son de la voix reproduisant le son entendu par l’oreille, ou si elle a été interjective, comme le croyait Condillac. Ce n’est là qu’un très petit côté de la question, puisque les onomatopées et les interjections n’ont elles-mêmes de valeur que par leur association avec les idées qu’elles expriment. Quant au fait général d’un son associé à une idée, il est le même que celui d’une image, d’un contact, d’une odeur ou d’une saveur associés à des idées. La cause qui transforme en idée une impression organique quelconque fait que cette idée se reproduit chaque fois que la même impression recommence. L’étude de cette cause nous transporte aussitôt du domaine de la psychologie dans celui de la métaphysique, et ce nouveau problème est une partie du problème plus général de l’union de l’âme et du corps ou pour mieux dire des rapports de l’organisme avec la pensée. La solution de ce problème dépend à son tour de l’idée qu’on se fait de l’âme et du corps, et elle partage la majorité des hommes entre deux grandes théories, le panthéisme et le système de la création : l’une admet que les choses procèdent par transformations lentes s’opérant sur un fonds invariable et éternel sans qu’aucune puissance extérieure et arbitraire intervienne dans le développement spontané des lois; l’autre place au commencement des choses un miracle et se trouve dans la nécessité d’avoir recours au surnaturel toutes les fois que l’explication des choses vient à lui manquer.