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tement opposé venait au même instant de le brouiller avec celui de ses frères qu’il aimait le mieux, et dont il avait été jusqu’alors le plus satisfait ou, pour mieux dire, le moins mécontent. Joseph, fier de la part que lui avait laissée le premier consul dans la négociation ostensible du concordat et de la signature qu’il avait apposée au traité de paix d’Amiens, avait obstinément refusé comme indignes de lui toutes les distinctions honorifiques qui lui avaient été successivement offertes. Il avait prétendu être désigné comme remplaçant provisoire du premier consul pendant l’expédition projetée d’Angleterre et reconnu pour son successeur éventuel en cas d’accident[1]. Le refus qu’il avait essuyé l’avait exaspéré, et son mécontentement s’exhalait en paroles des plus violentes[2]. Il y avait cependant, à défaut des autres, un membre plus âgé de la famille à qui revenait naturellement cette confidence; c’était l’oncle du premier consul, l’abbé Fesch. Fesch, ancien chanoine et archidiacre d’Ajaccio, s’était très convenablement acquitté de ses fonctions ecclésiastiques jusqu’au jour où le chapitre de cette cathé-

  1. Lettre de Joseph Bonaparte au premier consul insérée dans ses mémoires, avril 1803.
  2. Nous prions nos lecteurs de se bien persuader que nous n’inventons jamais rien. Il y a plus : de même que nous empruntons de préférence à la correspondance du cardinal Caprara et aux documens émanés du saint-siège les détails qui nous semblent n’être pas entièrement favorables à la cause de l’église romaine, de même c’est dans la propre correspondance de Napoléon, dans celle de ses frères, dans les pièces officielles du temps, dans les mémoires de ses serviteurs les plus dévoués, que nous allons chercher exclusivement la preuve des faits qui ne font pas grand honneur au premier empire. Telle est notre règle; nous n’osons pas dire qu’elle soit indispensable en histoire; elle est toutefois la plus sûre, et nous aurons soin de ne pas nous en écarter jusqu’à la fin de ce travail. Voici comment s’exprimait Joseph à cette époque :
    « Mon frère veut surtout que le besoin de son existence soit si vivement senti et que cette existence soit un si grand bienfait que l’on ne puisse rien voir au-delà sans frémir. Il sait et il sent qu’il règne par cette idée plus que par la force ou la reconnaissance. Si demain, si un jour on pouvait se dire : Voilà un ordre de choses stable et tranquille, voilà un successeur désigné qui le maintiendra; Bonaparte peut mourir, il n’y a ni trouble ni innovation à craindre, — mon frère ne se croirait plus en sûreté….. Telle est la règle de sa conduite….. Je suis las de sa tyrannie, de ses vaines promesses tant de fois répétées et jamais remplies. Je veux tout ou rien. Qu’il me laisse simple particulier ou qu’il m’offre un poste qui m’assure la puissance après lui….. Qu’il aille encore une fois, s’il le veut, ensanglanter l’Europe par une guerre qu’il pouvait éviter,... pour moi, je me réunirai à Sieyès, à Moreau même, s’il le faut, à tout ce qui reste en France de patriotes et d’amis de la liberté pour me soustraire à tant de tyrannie. » (Mémoires de M. le comte Miot de Melito, t. II, p. 48 et 152, etc.)