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le croyait la politique de la France, et il était jusqu’à un certain point assez fondé en disant que s’il parlait, s’il révélait tout, notamment le projet de descente en Angleterre dont il avait le secret, il fallait « se déterminer à une guerre prochaine, inévitable, » à laquelle le souverain anglais serait « contraint par la nature des circonstances, par le cri de la nation et du parti de l’opposition. » Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, pendant toute cette lutte bruyante, excentrique, soutenue par d’Éon, Louis XV, tout en prétendant parfois qu’il est fou, ne laisse pas de garder des rapports avec lui et ne se trouble guère. Il s’émeut tout au plus jusqu’à écrire à Tercier : « M. de Praslin voudrait bien voir arriver d’Éon en France et qu’il y fut bien enfermé. Ses lettres particulières, avouez-le, le mériteraient bien; mais le point essentiel est de l’adoucir et de ravoir mes papiers. A l’avenir, soyons plus circonspects dans le choix de confiance; il est pourtant le seul jusqu’à présent qui ait branlé et menacé de trahison au premier chef. Dans les tribunaux, que croyez-vous qu’on lui fît? » On ne lui fit rien devant les tribunaux; Louis XV finit, après trois ans, par assurer à d’Éon une pension de douze mille livres en attendant un poste qui lui donnât un traitement plus considérable. — Et voilà le roi qui dit avec une tranquille ingénuité à un de ses confidens : « Moi, je vais mon chemin sans me servir des petites intrigues et tracasseries! » S’il avait eu la fantaisie de ne pas aller droit son chemin, qu’aurait-il donc fait?

Ce que je veux montrer surtout dans ces cachotteries qui finissent par être avilissantes, dans ces lisibles trépidations de petites choses, de petits intérêts, de petites passions, c’est cette source énervante d’où sort une politique qui en passant à travers ces misères ne pouvait aboutir qu’à des déceptions. C’est là justement ce qui arrive dans cet espace de vingt-cinq ans où l’histoire extérieure de la France n’est marquée que par des agitations stériles, des évolutions à contre-temps et des défaites. Ce n’est pas que cette politique, au moment où elle entrait dans les conseils de Louis XV, où elle tendait à devenir un système coordonné, manquât de grandeur et procédât d’un faux sentiment des intérêts français. Elle réunit au contraire tout ce qui fait une œuvre patriotique, et s’il est un trait choquant, c’est la disproportion entre la hauteur, la justesse de la pensée première et la puérilité ou l’indignité des moyens dans lesquels elle s’énerve. A part ces projets de descente en Angleterre qui devaient naître comme une idée de représailles contre une nation ambitieuse de prépondérance maritime, — qui ne vinrent d’ailleurs qu’à la longue et forment un épisode distinct, — la politique secrète avait surtout en vue la situation du continent, les affaires du nord. Le comte de Broglie en trace un programme viril, qui, s’il eût