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tait ce sacre et voulait le pape à Paris... C’est une affaire très grave que ce voyage refusé ou accepté... Si le pape ne vient pas, il sera violemment reconduit au point d’où il est parti, après avoir payé plus que le prix convenu. Si j’avais été à Rome, — mais on m’en a retiré et comment! — j’aurais pu arranger cela pour avril et à Milan... Il y avait les convenances, la moitié du chemin qui arrange tant de choses; mais l’empereur veut peut-être faire une épreuve à Paris... Tenez, il se dit Charlemagne; un fils né de lui pourrait être Charlemagne, mais lui, il est Pépin le Bref... Il n’y a pas de Charlemagne en Europe avec une Grande-Bretagne si près de Paris; mais on lui a tourné la tête. Caprara lui a dit dans une note sul grugno : Nous vous proposons de vous sacrer le jour de Noël, anniversaire du couronnement du fils de Pépin, de ce Charles le Grand qui avait réduit l’Occident au silence et qui tenait l’Orient immobile... Comme on m’a gâté mon général et mon premier consul! Il ne m’écoute plus. Il m’a fait sénateur et muet[1]. »

Napoléon, qui n’avait jamais goûté beaucoup les conseils, n’était déjà plus à cette époque de sa vie disposé à écouter personne, et s’il y avait des fonctionnaires auxquels il fût porté à accorder moins de crédit encore qu’aux sénateurs, c’était à ses ministres au dehors. Actif autant qu’impérieux, il préférait leur donner des instructions très détaillées et très précises auxquelles il leur incombait avant tout de se conformer scrupuleusement. Le zèle pour ses intérêts, voilà ce que de préférence il recherchait en eux; mais force était à quelqu’un doué de tant d’esprit d’être obligé de reconnaître que les agens les plus dévoués ne sont pas toujours les plus utiles. Il s’impatientait alors contre eux, et ne se gênait en nulle façon pour leur montrer tout son dédain. C’est ainsi qu’à son oncle, le cardinal Fesch, qui, avant de partir, lui annonçait l’intention d’aller au ministère lire les dépêches de Rome, il répondit en façon d’adieu : « Ne lisez pas tant, tâchez seulement d’avoir du tact. »

Le tact était en effet la qualité qui allait manquer le plus au successeur de M. Cacault. Fesch n’était dépourvu ni d’instruction ni de lumières. Il avait une assez grande capacité de travail; il était doué d’une persistance contenue dans ses idées, qui, par malheur, approchait un peu trop de l’obstination, et revêtait ordinairement les formes du plus insupportable orgueil. C’est d’ailleurs dans toutes les carrières une difficile épreuve que de passer subitement, par le seul hasard de la protection d’autrui, d’une situation tout à fait subalterne à un poste éminent qui, en apportant le pouvoir, attire en même temps tous les regards. De simple chanoine devenu en quelques mois évêque, primat des Gaules, cardinal et ambas-

  1. Vie et pontificat de Pie VII, par M. Artaud, t. Ier, p. 483.