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Loin de toucher au village, il en est actuellement éloigné de plus de 500 mètres. Au lieu d’être hérissé de ces pyramides de glace d’une blancheur éblouissante qui se détachaient sur la noire verdure des sapins et excitaient l’enthousiasme des voyageurs dès leur entrée dans la vallée de Chamonix, le glacier des Bossons n’est plus qu’une langue de glace unie et enterrée entre les deux moraines latérales qu’il dominait autrefois. Pour le peintre, l’effet pittoresque est amoindri, mais le savant s’en réjouit, car l’aspect d’un sol caché si longtemps sous la glace et maintenant à découvert éclaircit tous ses doutes sur la physionomie du terrain qui supporte un glacier : celui des Bois, terminaison de la mer de glace, a reculé de 188 mètres, et la grotte de l’Arveiron est loin de la place où on l’admirait en 1854 ; celui d’Argentières est en retrait de 181 mètres, et celui du Tour de 520 mètres.

Pendant que l’extrémité inférieure du glacier disparaît par la fusion, une épaisseur considérable de la surface tout entière est également enlevée par la même cause : c’est ce qu’on nomme l’ablation du glacier; elle commence en mai pour finir en septembre, et varie suivant la température et le degré d’humidité de l’air, la force et la direction du vent, les chutes de pluie, de neige et de grésil. Des expériences sur le petit glacier du Faulhorn m’ont prouvé que l’ablation de la glace compacte avait été pendant l’été de 1841, du 25 juillet au 4 septembre, de 1m,54. La température moyenne de l’air pendant cette période fut de 4°,6, et l’humidité relative de 76 pour 100[1]. D’une manière générale, j’ai trouvé qu’une augmentation d’un degré dans la température pendant les mois de juillet et d’août correspondait à une fusion de 10 millimètres de glace dans les vingt-quatre heures. En 1845, du 21 juillet au 24 septembre, MM. Agassiz et Desor ont constaté que l’ablation du glacier de l’Aar, au milieu de sa longueur, avait été de 1m, 94, et un géomètre suisse, M. Olz, a calculé que, l’ablation de tout le glacier de l’Aar étant d’un centimètre par jour environ, la quantité d’eau fournie par cette ablation s’élevait à un million quarante mille mètres cubes d’eau en vingt-quatre heures.

L’ablation explique un phénomène qui avait frappé depuis longtemps l’esprit des montagnards : ils avaient remarqué que des pierres surgissaient pour ainsi dire à la surface du glacier comme si celui-ci les rejetait de son sein; ce sont simplement des pierres tombées sur le glacier des montagnes voisines et enterrées sous la neige en hiver. Pendant la belle saison, cette neige se convertit en

  1. Cette expression veut dire que l’air contenait 76 pour 100 de la quantité de vapeur d’eau nécessaire pour le saturer à la température moyenne de 4°,6.