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d’Aletsch étaient âgés de 200 ans. La même année, le glacier de l’Aar avait envahi, à l’extrémité de sa rive gauche, le flanc d’une montagne appelée Brandlanun et atteint des pins cembro qui y croissaient. MM. Collomb et Dollfus-Ausset s’assurèrent, en comptant le nombre des couches annuelles, que ces arbres avaient 220 ans. On pouvait donc affirmer que ce glacier, depuis plus de deux siècles, ne s’était jamais avancé aussi loin. Quand un glacier arrive sur une prairie, il relève le gazon sous forme de rouleau ; une maison est déchaussée et broyée : aussi la tradition a-t-elle conservé en Suisse le souvenir de chalets et de hameaux qui sont maintenant sous la glace; mais la légende s’en est mêlée, et des faits vrais ou vraisemblables ont été défigurés par des additions qui relèguent ces traditions dans le domaine du merveilleux.

Les oscillations des glaciers nous montrent que la progression et la fusion sont dans un état d’équilibre instable. Le glacier diminue par la fusion de son extrémité et l’ablation de sa surface pendant la belle saison; en hiver, il répare ses pertes par l’addition de couches de neige nouvelles qui se transforment en glace par une suite de fusions et de congélations successives. En été, l’eau qui pénètre le glacier ajoute également à sa masse et contre-balance les effets de la fonte superficielle. Toutes ces actions complexes sont sous la dépendance des influences météorologiques dont l’état du glacier est la résultante finale. Qu’un seul des élémens varie dans le cours de l’année, et la résultante en sera affectée. Les physiciens ne sont pas encore en état de démêler au milieu de causes si diverses celles dont l’action est prépondérante pour les isoler de celles qui sont neutralisées par des influences contraires; mais les géologues constatent dans la période la plus récente de l’histoire du globe une époque où cet équilibre entre la fusion et la progression fut rompu sous l’influence d’un changement permanent et prolongé dans le climat des deux hémisphères. Alors les glaciers des montagnes descendirent dans les plaines; les glaciers arctiques envahissant la moitié septentrionale de l’Europe et de l’Amérique, une calotte de glace continue assiégea le pôle : c’est l’époque de l’ancienne extension des glaciers ou la période glaciaire. Elle fera le sujet d’une étude qui se rattache étroitement à celle que nous venons d’achever.


CH. MARTINS.