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de vue. Rien non plus ne peut rendre l’impression que l’on ressent en pénétrant sous ces voûtes séculaires, hautes et solennelles comme des cathédrales, où même en plein midi les rayons du soleil ne donnent qu’une lumière verdâtre et luride, lurida lux. On s’y rappelle involontairement la secrète horreur dont Tacite nous dit que les anciens étaient saisis dans les forêts de la Gaule et de la Germanie. C’est au milieu de ces bois que vivent les Veddas, derniers descendans des aborigènes, encore aussi sauvages aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a vingt siècles, lorsque leurs pères furent refoulés dans l’intérieur de l’île par le conquérant indien Wijayo, 543 ans avant Jésus-Christ. C’est là aussi que l’on retrouve les vestiges imposans des anciennes capitales de Ceylan, Pollanarrua et Anuradhapoura, attestant sous leurs ruines la splendeur d’une civilisation disparue. La première de ces villes couvrait un espace de 30 milles de long sur 4 de large; l’emplacement des palais y est marqué par des murs couverts de riches sculptures, celui des temples, ou viharas, par de colossales statues de Bouddha de 50 pieds de hauteur. Le palais de bronze construit par le roi Gaimounou reposait sur mille six cents piliers de granit placés sur quarante lignes parallèles, et il ne comptait pas moins de neuf cents appartemens répartis entre neuf étages superposés; l’édifice tirait son nom de la toiture métallique qui recouvrait le tout. A Anuradhapoura, une montagne tout entière, celle de Mihintala, a été taillée en temple, tandis que les restes d’une autre pagode non moins gigantesque, celle de Maha Stoupa, fourniraient encore actuellement, au dire d’un Anglais calculateur, assez de briques pour construire, de Londres à Edimbourg, un mur de 10 pieds de haut et de 1 pied d’épaisseur. De toutes ces constructions, les plus regrettables sont les vastes réservoirs d’eau qui garantissaient jadis à l’île entière une inépuisable fécondité. C’étaient de véritables lacs artificiels ayant jusqu’à 10, 15, 20 milles de tour, et alimentant des canaux d’irrigation suffisans pour fertiliser des provinces entières, auxquelles l’Inde doit aujourd’hui fournir le riz nécessaire. La digue du réservoir de Padivil, par exemple, est jetée d’une montagne à l’autre sur une longueur de 18,000 mètres; la hauteur en est de 25 mètres, la largeur de 70 mètres à la base et de 10 au sommet. Nos digues de la Loire feraient pauvre figure à côté de ces ouvrages comparables aux Pyramides, et assurément plus utiles. On comptait jadis dans l’île trente de ces lacs créés de main d’homme, et six ou sept cents réservoirs plus petits, intelligemment répartis sur le territoire; le système était complet. Que les Portugais et les Hollandais aient laissé s’effondrer ces belles constructions, peut-être l’expliquerait-on par l’étroitesse de leurs notions en matière de colonies; mais il n’en serait que plus digne