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core je n’ai été autant frappé de l’air satisfait et content de soi qui caractérise la physionomie de cet animal. Toutefois le respect humain l’emporte, et un peu aussi le respect de l’astre incandescent qui chauffe à blanc le cirque de rochers où nous sommes enfermés : nous montons en voiture. Hélas! à peine avons nous franchi les fortifications et les blocs cyclopéens qui marquent le point culminant de la route, Bab-el-Yemen (la porte de l’Yémen), que nous sommes du premier coup d’œil édifiés sur la vieille ville aussi tristement que sur la nouvelle : ce sont les mêmes maisons calcinées, le même sol effrité, les mêmes marchands de plumes d’autruche et de cannes en corne de rhinocéros. Nous traversons un marché où, à mon grand étonnement, sont en vente de nombreux moutons, gros et gras, et je me rappelle qu’en effet à Saïgon les moutons d’Aden étaient une friandise des plus recherchées à l’arrivée des paquebots. Leur nourriture reste un mystère, car en admettant, comme l’insinue notre cocher, qu’ils fassent leurs délices de la fiente des chameaux, de quoi à leur tour les chameaux peuvent-ils vivre sur ce rocher stérile? Il y a là un cercle vicieux. On chercherait en vain aujourd’hui à Aden la mosquée où Ali, le gendre du prophète, lisait les prières aux fidèles, ainsi que les belles choses dont parlent les premiers voyageurs portugais, et surtout les bains spacieux entourés d’une colonnade à jour de piliers recouverts de jaspe. Le seul intérêt de notre promenade est une visite à de magnifiques citernes échelonnées par étages dans une gorge de la montagne, au-dessus de la ville. Construites jadis par les Turcs, les Anglais n’ont eu qu’à les déblayer des sables qui s’y étaient accumulés depuis deux cents ans, et à les enduire de stuc, pour en faire un ouvrage d’art des plus remarquables. Ici l’eau est en effet la plus précieuse de toutes les denrées; il n’est point rare de voir deux ou trois années se succéder sans amener autre chose que des grains passagers, et trop souvent les réservoirs sont épuisés bien avant l’époque où les orages du mois d’avril pourront les remplir de nouveau. On a recours alors aux appareils qui distillent coûteusement l’eau de mer, et le tonneau d’eau ainsi obtenu devient presque un objet de luxe qui se vend 75 francs. Aussi n’est-ce qu’avec une vertueuse indignation que la chronique locale cite le nom d’un agent de la compagnie des paquebots anglais qui avait voulu charmer son exil par les distractions du jardinage; avec cet innocent passe-temps, il trouvait moyen de faire dépenser à ses commettans pour cinquante écus d’arrosage chaque jour.

Nous n’avons montré d’Aden que le revers de la médaille. Pour être juste, il faut dire que la rade y est excellente et sûre, et que les vapeurs y peuvent entrer de nuit comme de jour en toute saison.