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longues files de baguettes prismatiques, qui ont plus de 100 mètres de hauteur, affectent la même régularité que les colonnades de basalte, tout en ayant une composition chimique bien différente.

Quant à la partie occidentale de l’île, elle est déserte. La population est concentrée aux alentours du Kastron. Il en était de même dans l’antiquité : c’est en effet au pied de la colline qui porte le Kastron que s’élevait l’ancienne cité grecque, dont il reste encore d’imposans débris, et dans les ruines de laquelle on a découvert en 1820 la célèbre statue de Vénus que l’on regarde à juste titre comme un des plus beaux chefs-d’œuvre de la sculpture grecque qui soit parvenu jusqu’à nous. Les murs du temple qui la renfermait sont encore en grande partie conservés. Elle a été trouvée au milieu des décombres, debout sur un piédestal qui a été perdu depuis. Le corps était intact ; les bras seuls, détachés et brisés par la chute des blocs de trachyte qui composaient la voûte de l’édifice, gisaient à terre en plusieurs fragmens. Au-devant se trouvaient deux Hermès et un amas de mains, de pieds et d’autres objets semblables en marbre ou en terre cuite. Ils avaient été déposés à terre devant l’image de la déesse ou suspendus aux murs du temple comme des ex-voto. Une inscription gravée sur le soubassement indiquait qu’elle était d’un artiste obscur né à Antioche. Elle a été faite à une époque où la sculpture grecque était déjà en décadence, puisque la fondation d’Antioche est postérieure à la mort d’Alexandre. Elle nous serait parvenue presque entière, s’il n’y avait pas eu, au moment de la transporter sur le navire qui devait l’amener, une lutte pleine de péripéties entre les marins français chargés de l’embarquement et l’équipage d’un bateau turc envoyé de Constantinople. C’est à ce moment que plusieurs fragmens des bras ont été perdus et le dos de la statue raclé sur les cailloux de la route qui conduit au port. Depuis lors, l’ancien consul de Milo, M. Brest, auquel on doit l’acquisition du précieux chef-d’œuvre, a fait sonder et fouiller toute la rade pour retrouver les parties des bras qui y avaient été jetées. Toutes les recherches entreprises ont été inutiles On possède au musée du Louvre un fragment de l’avant-bras droit, la main gauche tenant une pomme que la déesse présentait avec un geste de triomphe, enfin un morceau du bras droit contracté de manière à indiquer la flexion de l’avant-bras sur le bras. Ces débris permettent de se faire une idée fort exacte de la pose de la statue. Le temple où elle a été découverte, ainsi que les édifices voisins, paraissent être beaucoup plus anciens qu’elle, et se rattachent à une période de l’art bien plus reculée. Les blocs irréguliers de trachyte qui ont servi à les bâtir sont taillés avec une grande perfection, de manière à s’emboîter exactement les uns dans les autres. Ces monumens représentent le passage entre les constructions cyclopéennes et celles de l’époque la plus brillante de l’architecture grecque.

Dans certaines îles de la Grèce renommées autrefois, comme Chypre ou Cythère, pour la beauté des sites, la douceur du climat ou la fertilité du sol, il n’est pas étonnant que la déesse de l’amour ait été honorée d’une fa-