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des lecteurs. J’ose les prier de vouloir bien s’élever avec moi à 1,890 mètres au-dessus de la mer, au pied du glacier inférieur de l’Aar, non loin de l’hospice de la Grimsel, dans le canton de Berne. Le talus terminal du glacier est devant nous, une digue semi-circulaire l’entoure en forme de circonvallation. A chaque instant, des pierres, des blocs roulent du haut de l’escarpement et s’ajoutent à ceux dont l’accumulation forme la moraine frontale. Quelques-uns de ces blocs portent de grands numéros marqués en rouge ; ce sont ceux qui ont permis à M. Agassiz et à ses successeurs de mesurer la progression du glacier. Jadis espacés à sa surface, ces blocs ont atteint peu à peu l’extrémité, et sont tombés à côté de ceux qui les avaient précédés. Devant la moraine, quelques chalets s’abritent au pied d’un monticule composé de roches moutonnées, et à partir de ce point jusqu’à l’hospice de la Grimsel les roches du fond de la vallée, comme celles qui en forment les parois, sont unies, lisses, polies et striées. Le glacier occupait donc jadis ce couloir. Autour de l’hospice, le phénomène n’est pas moins marqué, et en descendant vers le Rœderichs-boden le poli et les stries sont si remarquables qu’on s’étonne que depuis longtemps les géologues n’en aient pas été frappés ; mais, on l’a souvent répété, c’est en vain que l’œil physique reçoit des impressions, si l’intelligence et la réflexion ne les fécondent pas. Ces rochers, dont le langage est si clair pour nous aujourd’hui, furent muets pour de Saussure, de Buch, Escher de la Linth et tant d’autres géologues éminens. Plus bas, la vallée se rétrécit, et le voyageur arrive à une surface tellement polie qu’on a dû y creuser des pas et y enfoncer des tiges en fer pour faciliter le passage des hommes et des mulets ; c’est la Heilenplatte ou surface luisante, ainsi nommée parce qu’elle réfléchit comme un miroir les rayons du soleil. Néanmoins des stries fines gravées sur le granite et les veines de quartz qui le traversent nous dévoilent l’action qui a poli cette roche : c’est encore le glacier. Bientôt le voyageur rencontre le chalet de la Handeck. Après avoir admiré la cascade de l’Aar et les majestueux sapins qui l’entourent, il est frappé de la forme des rochers : tous sans exception sont arrondis en forme de coupole. Ces dômes échelonnés sur la pente contrastent par leur forme avec les escarpemens de la vallée : ce sont des roches moutonnées, les plus belles, les mieux caractérisées qui existent en Suisse. Au-dessous de la Handeck, la vallée s’élargit, et le village de Guttanen occupe le centre d’une petite plaine cultivée. Plus loin, elle se resserre de nouveau, et le glacier, forcé de franchir ce défilé, a usé et aplani ses parois, qui semblent des murs verticaux polis par la main de l’homme. De fines stries et des cannelures horizontales prouvent que l’émeri interposé se composait tantôt d’un limon impalpable, tantôt de cailloux plus ou moins volumineux qui, pressés entre le