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du vulgarisateur est de présenter au public les faits bien constatés et les théories généralement admises par les savans, mais son devoir est de lui épargner les doutes, les incertitudes et les discussions qui forment pour ainsi dire l’avant-garde de la science et préparent la conquête de la vérité.

Dans cet exposé de l’ancienne extension des glaciers alpins, nous avons toujours, pour ne pas compliquer le sujet, parlé comme s’il n’y avait eu qu’une seule époque glaciaire : il y en a eu réellement deux. Une première, plus étendue, c’est celle pendant laquelle les glaciers du Rhône et de l’Isère ont dépassé le Jura et se sont étendus jusqu’à Lyon. À la même époque, le glacier du Rhin atteignait les Vosges. Les moraines, les gros blocs erratiques appartiennent à la seconde époque. C’est le professeur Oswald Heer, botaniste et géologue de Zurich, qui a le mieux établi l’existence de ces deux époques. Voici les faits : près d’Utznach et de Dürnten, à l’extrémité du lac de Zurich, à Mœrschweil, dans le canton de Saint-Gall, et à Unterwetzikon, dans celui de Zurich, se trouvent des bancs de lignite ou bois fossile. M. Heer a reconnu que ces lignites avaient été formées par des essences actuellement existantes en Suisse, le sapin, le pin sylvestre, l’if, le mélèze, le bouleau, le chêne, l’érable-sycomore, accompagnés de plantes marécageuses également communes dans les environs encore aujourd’hui ; mais le plus extraordinaire, c’est que ces lignites sont accompagnés d’ossemens et de dents d’éléphant (Elephas antiquus, forme très rapprochée de l’éléphant d’Afrique). Un squelette presque complet de rhinocéros (Rhinoceros Merkii, voisin du rhinocéros à deux cornes du Cap), a été exhumé à Dürnten, avec un bœuf (Bos primigenius). On a trouvé de plus des dents de l’ours des cavernes (Ursus spelœus). Ces animaux, tous disparus, vivaient donc au milieu d’une végétation semblable à la végétation que nous connaissons et par conséquent sous un climat peu différent du climat actuel ; mais ces animaux et ces plantes ont été précédés d’une époque glaciaire. En effet, les lignites comme les ossemens reposent sur un lit de cailloux erratiques provenant des Alpes, dont quelques-uns sont manifestement rayés. Les traces de ce terrain glaciaire ancien ont été retrouvées aux environs de Nyon dans le canton de Vaud, à Thonon dans la Haute-Savoie, par les géologues suisses, et en Dauphiné par M. Scipion Gras.

Ainsi donc à une époque dont l’imagination n’ose fixer ni l’éloignement ni la durée, des chênes, des pins, des sapins, des mélèzes croissaient en Suisse ; mais des animaux disparus aujourd’hui parcouraient ces forêts. Cette époque si semblable à la nôtre est intercalée entre deux périodes glaciaires. En effet, si nous demandons maintenant à M. Heer et à ceux qui ont étudié ces curieuses