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au contraire que la science pure, dégagée de toute préoccupation politique, consacre des principes et recommande des lois qui assurent l’harmonie entre le travail et le capital, la discussion sera plus utile en même temps qu’elle deviendra moins acerbe, et l’intérêt populaire n’en sera que mieux servi. — Nous citons cet exemple parmi les nombreux problèmes qui s’agitent de notre temps dans l’intérêt du travail. Le dernier ouvrage publié par M. Jules Simon nous fournit l’occasion toute naturelle d’examiner sous quelques-uns de ses aspects cette grave question que l’éminent écrivain a traitée, comme philosophe et comme économiste, avec l’autorité qui lui appartient.


I

Rien de plus difficile que de trouver une définition complète pour ce qui est à la fois simple et général. Interrogez successivement le philosophe, l’économiste, le commerçant, l’ouvrier ; demandez-leur ce qu’ils entendent par ce mot travail, et vous aurez autant de définitions que de réponses. Mais est-il bien nécessaire de s’attacher à définir avec la rigueur et la précision scientifiques ce que l’esprit conçoit aussitôt que le mot seul est prononcé ? Au seuil des sciences mathématiques se présentent des axiomes qui ne comportent point de démonstration, et qu’il suffit, d’exprimer pour que l’intelligence les admette comme incontestables ; de même, dans l’ordre moral, il existe des faits qui sautent aux yeux, des lois qu’il suffit d’énoncer pour qu’elles commandent l’universel respect. Nous savons, autant par instinct que par expérience, en quoi le travail consiste, et nous pourrions nous passer d’une définition qui risquerait de ne point comprendre dans les termes imparfaits du langage humain tous les modes ni tous les objets du travail.

Ici toutefois la langue vulgaire, en attribuant au terme une signification restreinte, tend à fausser l’idée même, et elle, commet une erreur qui dépasse la portée d’une simple erreur grammaticale. Aux yeux du plus grand nombre, le travail n’est que le pénible effort des bras : celui-là seul travaille qui peine sous un rude labeur, la sueur au front. Depuis longtemps déjà, l’économie politique s’est appliquée à modifier cette opinion incorrecte en revendiquant pour tous les efforts, corporels ou autres, qui concourent à la production, le droit et l’honneur d’être considérés comme les enfans du travail : rectification incomplète encore car, uniquement préoccupée des actes qui créent dans la société le bien-être et la richesse, l’économie politique avait surtout en vue les opérations de l’industrie ; elle se bornait à réunir sous le même drapeau, comme associés dans la même lutte contre la matière, l’intelligence qui dirige et le