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certaine mesure échapper à la tyrannie des classes supérieures, vivre de leur vie propre et se gouverner eux-mêmes avec plus ou moins de sécurité. Il ne faudrait donc pas, malgré les analogies de nom et de formes, assimiler les corporations du moyen âge et des temps modernes, institutions de défense et de résistance, aux corporations de l’empire romain, qui n’étaient que des instrumens d’oppression. Annihilés comme individus, le patron et l’ouvrier puisaient une force réelle et quelquefois considérable dans les corporations qui les représentaient au même titre que la commune représentait le bourgeois. En résumé, au temps dont nous parlons, les ouvriers formaient une classe distincte, non point uniquement parce qu’ils étaient ouvriers, mais parce que l’organisation sociale tout entière reposait sur la division des classes, soit héréditaires, soit professionnelles, et quand on étudie leur histoire il importe de ne point les considérer isolément, comme si les maux dont ils avaient à souffrir n’existaient pas à côté d’eux et au-dessus d’eux.

On ne saurait du reste contester que dans le moyen âge la notion du travail était bien différente de celle qui avait prévalu dans l’antiquité. Le travail manuel n’était plus un acte servile ; le christianisme l’avait réhabilité. L’artisan et l’ouvrier commençaient à compter dans la société nouvelle. De même que les ordres mendians avaient relevé la pauvreté, qui, par leur exemple, cessait d’être une marque d’avilissement, de même les ordres travailleurs, avec leurs moines qui bêchaient la terre, avaient relevé le travail. L’idée chrétienne jetait ainsi par le monde les semences d’émancipation et d’égalité que devait recueillir la philosophie du XVIIIe siècle et qui contenaient le germe de la révolution. En proclamant l’égalité entre les hommes, le christianisme préparait les voies à’ la suppression des classes et des castes ; en ne reconnaissant devant Dieu que le mérite individuel et en attribuant au travail et à la peine corporelle leur participation légitime aux récompenses qu’il promettait pour l’autre vie, il fondait les principes de justice selon lesquels allait se reconstituer la société moderne. En même temps que le christianisme recommandait le travail comme le devoir qui faisait égaux tous les hommes, les philosophes du XVIIIe siècle considéraient le travail comme le principe du droit qui faisait égaux tous les citoyens. Sous ces termes différens de droit et de devoir, c’était au fond la même idée qui, pénétrant peu à peu dans les mœurs, ennoblissait le travail et relevait la condition des classes ouvrières. Il n’y a pas en effet de comparaison possible entre la situation des ouvriers au XVe siècle et celle des ouvriers au XVIIIe siècle. Pour eux comme pour le reste de la nation, les doctrines égalitaires avaient accompli leur œuvre, et la révolution finale n’avait