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les divers ateliers, y communiquent leurs prétendus arrêtés à ceux qui n’y ont pas concouru, et emploient les menaces et la violence pour les entraîner dans leur parti et leur faire quitter leur travail. » Et après avoir déclaré que la suppression des droits d’octroi n’autorisait pas les entrepreneurs à abaisser les salaires, l’avis ajoutait : « Tous les citoyens sont égaux en droits ; mais ils ne le sont pas et ne le seront jamais en facultés, en talens et en moyens : la nature ne l’a pas voulu. Il est donc impossible qu’ils se flattent de faire tous les mêmes gains. Une loi qui taxerait le prix de leur travail et qui leur ôterait l’espoir de gagner plus les uns que les autres serait donc une loi injuste. Une coalition d’ouvriers pour porter le salaire de leurs journées à des prix uniformes et forcer ceux du même état à se soumettre à cette fixation serait donc évidemment contraire à leurs propres intérêts. Une pareille coalition serait de plus une violation de la loi, l’anéantissement de l’ordre public, une atteinte portée à l’intérêt général, et le moyen de réduire ceux qui l’auraient faite à l’indigence par la cessation ou la suspension des travaux qu’elle produirait infailliblement ; elle serait, sous tous les points de vue, un véritable délit.

La proclamation, signée du nom respectable de Bailly, fut médiocrement écoutée. Les réunions d’ouvriers se multiplièrent à Paris et dans les provinces ; c’étaient partout les mêmes demandes, les mêmes exigences, tantôt appuyées, tantôt combattues par les municipalités, dont l’intervention amiable était souvent réclamée soit par les ouvriers, soit par les patrons. La presse ne pouvait demeurer étrangère à ces débats, qui passionnaient tous les ateliers et qui intéressaient au plus haut degré la paix publique, en même temps qu’ils se rattachaient à l’interprétation encore incertaine des principes de la révolution. Il est curieux de voir ce que pensait Marat et les remèdes que proposait ce fougueux ami du peuple. Tout en applaudissant à la liberté des métiers et des professions, Marat n’admettait pas qu’il y eût avantage pour l’industrie à supprimer les apprentissages prolongés et onéreux qui, sous l’ancien régime, étaient imposés aux artisans ; il n’admettait pas davantage que les professions « où l’ignorance peut avoir des suites terribles, telles que celles de médecin, de chirurgien, d’apothicaire, » fussent livrées au premier venu, sans aucune preuve de capacité, et il blâmait vivement que l’on eût assujetti ceux qui les exercent à prendre une patente, « comme font de vils saltimbanques. » Selon lui, l’ignare comité de constitution avait tout bouleversé ; on aurait dû consulter les gens instruits et se borner à corriger les abus. Quant aux remèdes proposés par Marat, voici en quoi ils consistaient : 1° assujettir les élèves à un apprentissage rigoureux de six