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encore du maintien de certaines lois inspirées par la défiance et par les préjugés d’un autre âge. Nous aurons à revenir plus loin sur l’étude de ces dispositions législatives en examinant les remèdes proposés pour l’amélioration intellectuelle et matérielle des populations ouvrières ; nous ne devons pour le moment nous attacher qu’au fait historique. Or, sans entrer dans d’inutiles détails et en consultant tout d’abord le témoignage sincère de nos regards et de nos impressions, ne devons-nous pas être frappés de la différence très sensible qui existe entre la condition présente et la condition antérieure du travail manuel ? Vainement dira-t-on que l’histoire ne nous montre que pendant trois mois, de mars à juin 1791, la pleine et entière liberté du travail. Est-ce que l’ouvrier, malgré les retours, malgré les prétendus reculs de la loi, n’est pas mille fois plus libre aujourd’hui qu’il ne l’était pendant cette courte période de 1791 ? Laissons là les lois, les décrets, les règlemens et toutes ces archives poudreuses qui trop souvent ne servent qu’à obscurcir la vérité en se prêtant à la complaisance des opinions individuelles et aux puériles chicanes des partis. De telles questions ne se traitent point comme des questions de jurisprudence pour lesquelles les légistes s’acharnent à la découverte et à l’exploration des textes. En pareille matière, il faut considérer les mœurs et les faits plutôt que les lois. Les mœurs reconnaissent chaque jour avec plus d’éclat la dignité, les titres de noblesse du travail ; les faits attestent que chaque jour le travail est plus honoré, mieux rémunéré, plus libre, et qu’il est en possession des droits, non pas abstraits, mais effectifs, que les mœurs, supérieures à la législation, accordent à l’effort individuel. De même que la notion du travail était bien différente au moyen âge de ce qu’elle était dans l’antiquité, de même elle diffère singulièrement aujourd’hui de ce qu’elle était à l’aurore de la révolution. Historiquement le progrès est immense : ce progrès s’est étendu à toutes les classes, aux classes ouvrières comme aux autres classes qui composaient autrefois la nation. La voie est largement ouverte, et nous n’avons qu’à la suivre. Qu’il reste encore de longues étapes à parcourir pour arriver aussi près que possible de la liberté et de l’égalité parfaites, cela est certain : chaque génération doit avoir à cœur d’avancer d’un pas vers l’idéal ; mais on commet une erreur historique en même temps qu’une faute politique quand on néglige de signaler les résultats obtenus, quand on ne trouve dans les traditions du travail manuel que la matière d’un récit lamentable, d’où l’on pourrait conclure que les classes ouvrières seules ont été et sont encore sous le coup de l’oppression et de l’inégalité. Il semble plus juste et plus vrai de se féliciter des progrès accomplis et de puiser dans ces progrès mêmes l’espérance