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et de la décadence du patronage occupe dans son livre tout un ; chapitre.

De l’aveu de M. Jules Simon, « la société ne peut laisser mourir de faim ni les orphelins abandonnés, ni les malades et les vieillards sans amis et sans famille. Il en est de l’assistance, dit-il, comme : de l’action même du pouvoir public ; elle est légitime partout où elle est nécessaire, et seulement où elle est nécessaire. Même dans un cas extrême, la société doit agir avec réserve et ne pas fournir de prétexte à la lâcheté d’une famille ou à l’inertie d’un citoyen. Tout ce qui dispense l’homme de vouloir le dégrade et l’appauvrit. » Ces propositions sont incontestables, nul doute que l’assistance ne doive être distribuée avec discernement, que souvent elle ne s’égare et ne produise plus de mal que de bien. Les prodigalités de ceux qui donnent peuvent être aveugles ; les demandes de ceux qui reçoivent peuvent être abusives et indignes. Là comme en toute chose, l’on se trompe et l’on est trompé ; mais est-ce une raison pour condamner d’une façon à peu près absolue, comme le fait M. Jules Simon, les manifestations de l’assistance ? Faut-il, après avoir renfermé le devoir social dans les limites les plus étroites, proscrire, flétrir presque l’assistance individuelle en disant : — Vous qui prétendez exercer la bienfaisance, ne serait-ce que par vos directions et par vos conseils vous cherchez seulement une satisfaction pour vous-mêmes, pour votre orgueil et pour votre égoïsme ? A défaut de sujets, de vassaux, de cliens que notre société ne comporte plus, vous êtes bien aises d’avoir au-dessous de vous une légion de patronnés. Vous-mêmes, dames charitables qui travaillez pour les pauvres, vous ne savez donc pas que vous ruinez les ouvrières en leur faisant concurrence ? Pourquoi ces dons, qui après tout ne soulagent qu’une portion infiniment petite des souffrances humaines, et qui n’aspirent que d’imperceptibles gouttes d’eau dans l’immense océan de la misère ? C’est que le résultat le plus clair et le plus important est de rendre les pauvres dociles. — Voilà comment M. Jules Simon apprécie les œuvres et les intentions de l’assistance privée, telle que nous la voyons pratiquer tous les jours. L’assistance ne serait plus ainsi qu’une orgueilleuse forme de patronage, contraire au principe d’égalité comme aux justes notions économiques, corrompant le pauvre et dégradant l’homme libre.

Cette question de l’assistance et du patronage n’a peut-être point de relation directe avec la question du travail ; mais, puisqu’elle se trouve sur notre route, nous devons nous y arrêter. La pauvreté qui procède chez les ouvriers de l’insuffisance ou de l’interruption du salaire est un fait malheureusement trop certain.