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raison d’eux. Remarquons en effet qu’avec ces groupemens de populations qui mettent en présence ce qu’on appelle aujourd’hui des nationalités, la guerre se fera le plus souvent par grandes masses. Il ne sera plus possible d’entretenir constamment et en assez grand nombre pour les nouvelles éventualités des hommes faisant du combat leur profession exclusive. Voilà pourquoi on cherche à substituer aux anciennes institutions militaires l’armement des populations : c’est une tendance si généralement prononcée que depuis peu de mois les réformes dans cette direction ont été mises à l’étude non-seulement par la France, mais par neuf autres états de l’Europe.

Les observations qui précèdent peuvent être ramenées à peu de mots. Les armées permanentes, ruineuses pendant la paix, s’étant trouvées insuffisantes quand on a craint la guerre, on a reconnu la nécessité de les fortifier par des réserves. Or, si les citoyens appelés à faire partie de ces réserves n’ont pas vécu pendant quelque temps de la vie du soldat dans l’armée active, leur éducation militaire est insuffisante ; si on les fait tous passer sous les drapeaux, on est obligé d’abréger beaucoup le temps du service actif, et alors on entre dans les données du système prussien, système auquel nos états-majors opposent beaucoup d’objections techniques, et que nos divers gouvernemens depuis 1815 ont repoussé par crainte de laisser échapper quelque parcelle d’autorité. Tel est le problème qui est posé chez nous pour la cinquième fois depuis un demi-siècle. Sera-t-il résolu cette fois ? Il n’en faudrait pas jurer. Les institutions militaires se combinent tellement avec les arrangemens de la vie privée qu’elles deviennent une partie des mœurs. On n’y peut introduire aucun changement sans une sorte d’assentiment public. A moins de ces grandes explosions qui illuminent soudainement les esprits, il faut que les réformes de cet ordre soient préparées par de longues controverses, que la foule ait le temps de les comprendre et de les accepter. Heureusement que l’urgence d’une décision est moins grande qu’on ne l’a cru après Sadowa.


ANDRE COCHUT.