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cent vingt-cinq stations successives. Ce travail a duré douze ans. Pendant ce temps, M. d’Abbadie s’est isolé de la civilisation et des ressources qu’elle nous offre. Il a vécu au milieu de dangers sans cesse renaissans, de privations souvent cruelles, de fatigues de toute sorte, soutenu seulement par la grandeur du but qu’il poursuivait. Il a pénétré jusqu’aux sources du Nil-Bleu, étudié le pays et ses habitans, éclairci d’importantes questions d’anthropologie, de linguistique, de statistique, formé des dictionnaires, recueilli des traditions, collectionné des manuscrits, et, menant de front ces recherches variées et des travaux d’une nature plus difficile, il a fait pas à pas la carte de régions presque inconnues avant lui. Dans son ouvrage intitulé Géodésie d’Ethiopie, M. d’Abbadie a rassemblé les résultats de ses calculs et de ses observations, et en ce moment il termine la dernière section de sa carte.

Dans la Géodésie d’Ethiopie, on ne trouve que chiffres, formules, descriptions d’instrumens, discussions sur les méthodes nouvelles. L’élément pittoresque y est à peine représenté par quelques laconiques remarques ajoutées en note sur les difficultés au milieu desquelles fut exécutée telle observation ; il n’en est question que lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi il manque ici un chiffre, là une indication qui aurait paru intéressante, ou pourquoi telle donnée doit être considérée comme douteuse. Une fois c’est une dangereuse ophthalmie qui empêche notre voyageur d’observer le soleil, d’autres fois c’est le qobar ou brouillard sec qui lui voile tous les objets lointains et rend les montagnes méconnaissables ; souvent la foule curieuse qui l’entoure et le serre de près l’oblige à renoncer à ses opérations et le prive d’une occasion qu’il ne retrouvera plus. J’ai souvent entendu les récits de M. d’Abbadie lorsqu’il lui arrivait de parler à quelques amis de ses courses aventureuses dans le Tigré, le Bagemidr, le Godjam, l’Inarya, le Kaffa, etc., et j’ai chaque fois regretté que les détails vraiment curieux et intéressans qu’il nous racontait fussent confiés seulement à des mémoires infidèles. Qui sait si jamais le savant voyageur trouvera des loisirs pour écrire une relation pittoresque de ses longues pérégrinations ?

Le Tigré est séparé du Bagemidr par une rangée de montagnes qui s’élèvent à environ 4,500 mètres au-dessus de la mer, et auxquelles on donne le nom de Ras-Dajan. Le mont Buahit, dont le sommet se couvre souvent de neige, fait partie de cette chaîne. M. d’Abbadie tenta plusieurs fois de l’escalader, parce que le faîte très élevé de cette montagne promettait une admirable station d’observation ; mais les montagnes, dans ces pays, sont les forteresses naturelles, on en interdit l’accès aux étrangers. Si quelqu’un voulait à cette heure faire de l’arpentage autour des remparts de Landau, les sentinelles ne tarderaient pas à lui faire comprendre où