artifices, qu’il était obligé de varier sans cesse, que notre voyageur parvint à se procurer de temps en temps un moment de tranquillité. Il observait quand il pouvait, presque toujours à la dérobée, afin de soustraire ses instrumens aux regards cupides des indigènes, et d’éveiller le moins possible leur défiance par des opérations suspectes et mystérieuses.
Le seul inconvénient réel de la méthode de M. d’Abbadie, c’est qu’elle entraîne un effrayant travail de cabinet lorsqu’il s’agit de coordonner et de calculer les observations. On a relevé des sommets de montagnes, des précipices, des îles ; quels noms leur donner ? comment démêler les observations qui se rapportent au même objet ? Les guides vous ont nommé des pics lointains, enveloppés dans les brumes de l’horizon ; mais d’un versant à l’autre les noms changent, ils sont empruntés à des langues différentes. Souvent même les montagnes n’ont pas de nom dans la langue du pays, les guides que vous consultez vous répondent par un mot vague qui signifie élévation, sommet, etc. La plus haute montagne du globe est désignée dans le Népaul par quatre noms différens, et les habitans du Thibet lui en donnent trois ou quatre autres. MM. Schlagintweit ont eu beaucoup de peine à constater que le véritable nom de ce pic est Gaurisankar en népalais et Tchingopamari en thibétain ; les autres désignations se rapportent à des sommets voisins. La confusion des noms n’est pas la seule difficulté que l’on rencontre au moment où l’on veut constater l’identité des signaux observés ; des illusions d’optique se mettent quelquefois de la partie. Ainsi M. d’Abbadie avait un jour relevé trois îles du lac Tsana ; il put se convaincre plus tard que ces îles n’existaient pas : ce qu’il avait vu, c’étaient trois pics d’une montagne voisine que le mirage avait transportés sur le lac. On conçoit que ces erreurs, inséparables de l’emploi des signaux naturels, peuvent singulièrement embrouiller la construction d’une carte ; heureusement la méthode fournit elle-même le moyen d’y remédier et de se reconnaître au milieu des matériaux recueillis au gré des circonstances. Les relèvemens au théodolite ne donnent pas seulement la direction du signal, ils en donnent encore la hauteur ; dès lors l’accord ou le désaccord des hauteurs déterminées de plusieurs stations différentes fait immédiatement reconnaître si c’est le même signal qu’on a observé plusieurs fois ou s’il s’agit d’objets différens. De cette façon, on arrive peu à peu à classer les relèvemens, à éliminer les erreurs de désignation, et à établir les positions des points qui doivent servir de fondemens à la carte. Ces positions se contrôlent les unes par les autres, parce qu’elles sont dans une dépendance mutuelle ; on ne peut toucher à une seule sans modifier plus ou moins toutes les autres. Cette solidarité rend les calculs extrêmement longs et