Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en cela personne n’était plus sévère que l’auteur lui-même, car il l’était trop ; mais, si plus tard M. Cousin a eu raison de se dégager de ce qu’il y avait de vaporeux et d’insaisissable dans sa pensée de 1828, encore tout imprégnée de son commerce avec Hegel, peut-être en même temps est-il permis de regretter qu’il ait un peu trop sacrifié, et qu’il ait trop coupé les ailes au génie spéculatif qui avait éclaté dans ces leçons d’une manière si spontanée et si entraînante.

Je ne puis et ne veux ici que courir sur les sommets des choses, sans quoi j’aurais à rappeler ce cours de 1829, résumé de toute l’histoire de la philosophie, qui est devenu un des livres les plus chers à M. Cousin, un de ceux qu’il a le plus travaillés et qui composera une partie importante de sa gloire, à savoir l’Histoire générale de la philosophie ; ce cours de 1830, d’où est sorti l’ouvrage le plus solide et le plus sévèrement scientifique qu’il ait écrit, l’Examen de la philosophie de Locke. — Puis, revenant en arrière, j’aurais aussi à parler du cours de 1818 ; qui a été l’origine du livre célèbre et du Vrai, du Beau et du Bien, du cours de 1820, qui est devenu le livre sur la Philosophie de Kant. Pour apprécier la valeur de ces différens cours, il faut, ce que ne font pas d’ordinaire les critiques, se transporter au temps où ils ont été faits. Combien d’idées, devenues depuis le patrimoine commun de nous tous, étaient alors neuves, hardies, séduisantes ! Nous leur en voulons précisément de ce qu’elles sont devenues nôtres ; nous leur en voulons de ce qu’elles ont formé notre esprit ; nous les accusons de notre propre stérilité ; ne sachant pas trouver des pensées nouvelles, nous les accusons de ne pas être nouvelles. Ingrats et jaloux, nous en voulons à ceux qui nous ont précédés de leur gloire et de leur puissance, et notre médiocrité se console en les insultant.

C’est d’ailleurs un des caractères de notre temps (et par là il se distingue des époques classiques et leur est inférieur), que les génies qui l’ont le plus illustré sont plus remarquables par l’influence qu’ils ont exercée sur leurs contemporains que par la somme des idées, absolues et éternelles qu’ils auront léguées à la postérité. Chateaubriand, Lamennais, Cousin, sont de remarquables exemples de cette loi : grands promoteurs, grands instigateurs, grands remueurs d’idées, ils ont introduit dans le courant de l’esprit de leur temps une foule de pensées qui s’y sont mêlées, confondues, dont on ne reconnaît plus l’origine, et que souvent on retourne, en croyant les créer de nouveau, contre ceux qui en ont été les premiers auteurs.

Je n’ai pas eu le bonheur, ni aucun de ceux de mon âge, d’entendre M. Cousin dans sa chaire, puisqu’il a cessé de parler en 1830 ; mais il m’a été donné d’entendre comme l’écho de ces cours