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répètent ont tant de succès que la foule s’attroupe pour les entendre et que les magistrats de Bologne, ennemis des rassemblemens, leur défendent de stationner sur les places. Ainsi en plein moyen âge, dans ce temps que nous traitions de barbare et dont nous étions tentés de rougir, le monde avait les yeux sur nous, copiait nos poèmes et chantait nos héros. — Assurément la France du XVIIIe siècle, si dédaigneuse du passé, aurait été fort surprise d’apprendre que dans cette domination qu’elle était si fière d’exercer sur l’Europe elle avait été devancée par la France du XIIIe.

L’Histoire poétique de Charlemagne est franchement un livre d’érudition. M. Paris, qui l’annonce dans sa préface, semble craindre qu’on ne lui reproche d’avoir peu fait pour l’agrément. Je ne le crois pas. Les lecteurs qu’il mérite d’avoir et pour lesquels son livre est écrit demandent qu’on les instruise ; ils n’ont pas besoin qu’on les amuse. Au contraire, s’ils sont tentés de se plaindre, ce sera plutôt de l’introduction, et ils trouveront que M. Paris y abandonne un peu sa méthode ordinaire, et qu’il quitte trop souvent le terrain solide des faits pour des affirmations hasardées. On y remarque un certain abus de formules vagues qui ne nuisent pas moins à l’écrivain qu’au savant. Son style s’alourdit, s’embarrasse, se hérisse de grands mots abstraits qui lui enlèvent la couleur et la vie. En même temps sa marche devient moins scientifique. Ces prétendues vérités générales ne sont jamais vraies qu’en partie ; en les exprimant d’une façon absolue, sans faire de réserve, on soulève des doutes et l’on s’expose à des contradictions. Par exemple, est-il bien légitime de prétendre « que toute combinaison de nationalité est accompagnée d’un dégagement de poésie, comme toute combinaison chimique d’un dégagement de chaleur ? » et M. Paris n’a-t-il pas établi plus loin que du mélange des races qui formèrent le peuple romain, il ne s’est rien dégagé du tout ? Quand on se rappelle le caractère des Védas et de l’Edda, peut-on ériger en principe que « la première poésie des peuples est l’affirmation éclatante de leur nationalité ? » Est-il permis de dire aussi intrépidement que « l’épopée n’appartient qu’aux peuples d’élite, » lorsqu’on va nous apprendre que des peuples qui ont conquis et gouverné le monde n’ont pas eu d’épopée ? Suffit-il d’affirmer sans preuves « qu’elle est l’apanage exclusif des peuples aryens, » quand on sait que beaucoup de savans pensent le contraire, et que M. Steinthal, dont l’opinion a tant de poids, prétend la retrouver chez les Sémites et chez les Mongols ? M. Paris a peut-être raison dans ses affirmations, nous pourrions les trouver vraies, s’il prenait la peine de les expliquer et s’il en donnait la raison. Son tort consiste à les énoncer comme des axiomes. Quelque sujet qu’on traite, il faut ne rien entamer ou tout dire. Quand on parle à un public