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Celui qui écrivait cette page était justement un de ces hommes qui sont déjà des ancêtres pour l’Italie nouvelle ; c’était Massimo Taparelli d’Azeglio qui s’éteignait doucement à Turin il y a un an à peine, après avoir vu luire dans sa splendeur ce jour qui en 1857 lui semblait encore lointain. Cette indépendance dont il parlait, il l’avait servie en effet d’un cœur chaud, d’un esprit alerte et ingénieux, d’une raison indépendante et vive ; il l’avait servie surtout par le caractère, par une virile et séduisante droiture devenue l’originalité de ce chevalier patriote, de ce gentilhomme libéral qui avait été tout ce qu’on peut être, soldat par tradition de famille d’abord, puis par occasion au jour du péril, artiste par instinct et par goût, romancier par inspiration nationale, polémiste quand il le fallait, diplomate au besoin, président du conseil par dévouement plus que par ambition, et qui à travers toutes ses métamorphoses, dans toutes les situations, était toujours resté un homme bien né, sans reproche et sans peur.

Turin a perdu sa couronne, elle a gardé ses saints ; je veux dire que sur ses places et sur ses promenades, aujourd’hui un peu solitaires, elle garde religieusement les statues de ceux qui ont été les premiers ouvriers de l’indépendance, qui représentent pour elle l’alliance de l’esprit piémontais et de l’esprit italien : le roi Charles-Albert au visage soucieux et énigmatique, Balbo aux traits dantesques, Gioberti à l’extérieur tout moderne de bourgeois philosophe. Il y a un homme qui est la personnification plus fidèle encore peut-être de cette alliance dans sa lune de miel, c’est d’Azeglio ; il l’avait réalisée en lui-même, dans sa nature à la fois exquise et forte, gracieuse et sensée, opiniâtre et facile. Né en Piémont, il avait gardé la sève de son petit pays subalpin ; mais en même temps il était le plus Italien de tous les Piémontais. Il avait toujours vécu à Florence, à Rome, à Milan ou à Gênes plus qu’à Turin. Il était devenu sans effort, non-seulement par l’impulsion d’un sentiment national agrandi et excité au feu des luttes contemporaines, mais encore par goût, par habitude, le citoyen de cette Italie dont il avait été l’hôte familier avant d’être un de ses guides, et c’est à lui qu’on pourrait appliquer ce mot qu’il inscrivait au frontispice de quelques pages émues et touchantes sur Collegno : une vie italienne ! — une vie qui se déroule entre le roman et l’histoire, entre l’imagination et la politique, ou plutôt une vie qui s’ennoblit et s’épure en passant par toutes ces phases d’une adolescence un peu agitée, d’une jeunesse volontairement asservie au travail, d’une maturité dévouée à la patrie commune, jusqu’au jour où elle va se confondre dans la résurrection d’un peuple. Cette vie embrasse toute une époque.