Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une armée ulcérée, à demi désorganisée. La paix avec l’Autriche n’était point encore signée. On se voyait obligé de réduire par la force Gênes insurgée. Le parlement de Turin, où dominait le parti révolutionnaire, s’agitait dans le vide. Un ministère tel quel, formé en toute hâte avec un honnête conservateur, M. de Launay, pour président, n’était fait ni pour en imposer ni pour désarmer les défiances. L’incertitude était partout. A quoi tint en ce moment la destinée du régime constitutionnel à Turin ? A ceci tout simplement, à l’apparition d’un ministère formé par Massimo d’Azeglio, que le roi Victor-Emmanuel allait chercher à la Spezzia. A roi galant homme galant homme ministre, c’est l’histoire de cette heure délicate et décisive. Par son passé, par son caractère, par un libéralisme aussi ferme que modéré, par le patriotisme qui avait fait sa popularité et qu’on le savait homme à ne point abdiquer, par cette blessure même dont il souffrait encore, d’Azeglio était une garantie pour tous.

Trois mois auparavant, il avait refusé la présidence du conseil du roi Charles-Albert, qui l’avait appelé auprès de lui, parce que s’il croyait que la guerre était pour le moment une désastreuse aventure, il ne se sentait pas le courage de faire la paix avant le combat et de la signer. Après Novare, tout avait changé. Le devoir lui apparaissait avec une netteté redoutable. D’Azeglio vit devant lui une situation ruinée où tous les subterfuges, toutes les habiletés, encore plus toutes les jactances étaient inutiles, où la loyauté seule pouvait trancher le nœud. Il vit, il sentit qu’accepter une paix douloureuse était une inexorable nécessité, mais en même temps que le maintien du régime constitutionnel était pour le Piémont la seule manière d’assurer son indépendance, de garder l’honneur vis-à-vis de l’Autriche en réservant l’avenir de l’Italie, — et il accepta ce marché du patriotisme vaincu, faire la paix en gardant la liberté à Turin. — Rien n’était plus simple, direz-vous. — Ceux qui parlent ainsi sont justement ceux qui ont trouvé depuis que rien n’était plus facile que de faire l’Italie. Il était bien plus facile de laisser l’Italie telle qu’elle était, et il était plus facile encore en 1849 de laisser sombrer le régime constitutionnel à Turin. C’était même le moyen de faire une paix matériellement plus avantageuse avec l’Autriche. Les partis extrêmes, de leur côté, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour pousser à cette extrémité, par une absurde résistance à la nécessité, et le pays ne se serait point levé à coup sûr pour défendre le statut. Il fallut par deux fois dissoudre le parlement, qui revenait toujours le même parce que le scrutin était déserté des électeurs, et qui refusait toujours de ratifier la paix. La dernière fois il fallut une sorte de coup d’état qui s’est appelé la