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Brofferio ; vous lui en voulez, c’est un de ceux qui ont dit le plus de mal de vous. — Oh ! alors, répondit d’Azeglio, c’est une autre question, je me sens tout porté à aider ce brave Sicilien de fantaisie si féconde. Je ne puis pourtant pas, pour le seul plaisir de lire ses injures, faire révoquer un ordre. — Ce n’est pas nécessaire, reprit Brofferio à voix basse, il est ici, chez moi, caché ! — Et maintenant, ajouta Brofferio d’un air de triomphe, je défie Massimo d’Azeglio de faire de cette confidence un mauvais usage. » Voilà l’opinion que ses adversaires avaient de lui. Sans avoir ni hauteur ni morgue, d’Azeglio portait au pouvoir une certaine vivacité de point d’honneur. Un ministre de France, faisant la chasse aux émigrés, lui avait adressé un jour, une communication où il lui disait à peu près qu’il suffisait de ne pas valoir grand’chose pour avoir sa protection et celle du gouvernement piémontais. D’Azeglio lui envoya ses témoins, dont l’un était le général de La Marmora, et le billet fut retiré. Au milieu des occupations du pouvoir, cet étrange président du conseil restait d’ailleurs volontiers écrivain et peintre, et quelquefois Victor-Emmanuel arrivait jusqu’à son petit cabinet du ministère des affaires étrangères en disant : « Peut-on voir le peintre ? » Victor-Emmanuel aimait ce premier ministre artiste et gentilhomme, patriote et libéral.

Deux hommes ont relevé le Piémont depuis 1848 et ont préparé ses destinées nouvelles, d’Azeglio et Cavour, l’un en maintenant la liberté dans un moment où tout chancelait, l’autre en se servant de la liberté pour remettre en marche la politique piémontaise. Lorsque peu après son entrée au pouvoir d’Azeglio proposait dans un conseil d’appeler au ministère du commerce le comte de Cavour, dont il était l’ami et qui s’était déjà signalé avec éclat dans le parlement comme dans la presse, le roi dit en souriant : « Je le veux bien, mais rappelez-vous qu’il vous prendra tous vos portefeuilles. » D’Azeglio n’était pas homme à s’effrayer beaucoup de perdre un portefeuille. Ce que disait le roi ne se réalisait pas moins. L’antagonisme commençait à poindre ou plutôt à devenir public à l’occasion de la loi sur la presse en 1852. Cavour, ne prenant conseil que de lui-même, saisissait le prétexte d’un discours de M. Ménabréa, aujourd’hui général, alors colonel du génie, député de la Savoie et l’un des orateurs les plus éminens de la fraction conservatrice de la chambre, pour rompre ouvertement avec la droite, sur laquelle s’était appuyée jusque-là la politique ministérielle, et pour nouer avec la gauche cette alliance, qui dans l’histoire parlementaire du Piémont s’est appelée connubio ; il croyait le moment venu de faire un pas, et il le faisait avec une audacieuse dextérité. D’Azeglio, sans céder à aucune velléité de réaction, ne croyait nullement à cette