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tort; mais tout en interdisant à Charles-Quint de l’accuser de nouveau avant de se battre, il se livrait lui-même à une discussion publique de leurs actes respectifs; il lui reprochait habilement d’avoir refusé la paix à des conditions avantageuses, et se justifiait éloquemment de lui avoir fait la guerre. Rappelant toutes ses offres rejetées, l’Italie ravagée, Rome saccagée, l’Allemagne envahie, le monde menacé de tomber sous une oppressive domination, il trouvait dans les résistances ambitieuses de l’empereur et les tyranniques violences de ses soldats les excuses de ses propres agressions. « Si, disait-il, détenir mes enfans, ne vouloir pas entendre raison pour traiter, exiger que j’abandonne mes amis avant que mes enfans me soient rendus, avoir pris un pape, lieutenant de Dieu sur terre, avoir ruiné toutes les choses sacrées, ne vouloir remédier ni à la venue du Turc ni aux hérésies qui pullulent dans la chrétienté, ce qui est office d’un empereur : étant père et portant le titre de roi très chrétien, si toutes ces choses ne pouvoient m’émouvoir à la guerre, je ne sais quelles autres injures ou raisons eussent été suffisantes à m’y provoquer[1]. » Il continua de repousser tous les reproches dont l’avait chargé l’empereur, puis il dit en finissant à Granvelle, qui prit congé de lui : « Qu’il estimoit l’empereur si gentil prince que ce seroit en gentilhomme qu’il lui répondroit et non en avocat, dans un champ clos et non par écrit. »

C’était ce que François ("avait intérêt à obtenir, et ce que Charles-Quint ne pouvait pas être disposé à accorder. Après avoir lutté pendant sept ans en souverains, les deux rivaux étaient prêts à se battre en chevaliers; mais l’empereur voulait établir la justice de sa cause avant d’en venir aux mains avec le roi de France, et le roi de France voulait procéder au combat avec l’empereur sans entendre de nouvelles accusations de sa part. Le héraut d’armes qui porta le cartel de François Ier à Charles-Quint accomplit sa mission sans rencontrer ni obstacle ni retard. Il fut reçu à Fontarabie par le gouverneur don Gonzalo de Montalvo, qui l’accompagna jusqu’à la ville de Monzon, où Charles-Quint tenait les cortès d’Aragon, de Catalogne et de Valence, sollicitant des subsides pour ses guerres. Le lendemain de son arrivée, il fit demander audience à l’empereur et l’obtint le jour même.

Le 8 juin, à quatre heures après midi, Charles-Quint, entouré de beaucoup de prélats, de grands et de caballeros qu’il voulait avoir pour témoins des termes du défi et des termes de l’acceptation, admit en sa présence le héraut de François Ier. Revêtu de sa cotte d’armes, le héraut Guyenne, fendant la noblesse qui remplissait la salle et qui s’était ouverte pour le laisser passer, s’avança

  1. Papiers d’état du cardinal de Granvelle, p. 355 et 356.