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tère de craindre autant que de désirer la couronne. Déjà, quand à Milan il fut créé césar, on remarqua son air soucieux, son secret effroi au milieu des fêtes, et quand il dut monter à côté de l’empereur sur le char triomphal qui les ramenait tous deux au palais, on l’entendit murmurer ce vers tragique d’Homère, qu’il s’appliquait à lui-même : «. La mort l’a couvert de pourpre, et la puissance du destin a mis la main sur lui. » Il recule devant sa destinée, il faut qu’il se gourmande : « Toi qui veux être un homme, un homme fidèle à ses devoirs, tu priverais les dieux de ta personne ! est-ce là servir les dieux? » Plus tard, après une grande victoire remportée en Gaule, à ses soldats qui une première fois lui donnent le nom d’auguste, il répond sèchement et les fait taire. Plus lier encore qu’ambitieux, cet élève de la philosophie, qui regardait la royauté comme un sacerdoce, semble avoir redouté longtemps les hautes responsabilités du pouvoir suprême, comme font les rêveurs épris de perfections idéales.

Ce ne sont pas des pensées communes qui s’agitaient dans cet esprit à la fois étrange et noble, alors enfermé dans ce palais des Thermes dont nous avons encore les ruines sous les yeux. Pour nous, nous n’apercevons jamais ces voûtes ouvertes par le temps, où l’œil du passant pénètre, sans nous représenter le grand prince qui jadis les remplissait de ses travaux et de ses méditations solitaires. C’est de là que rayonna pendant quatre ans dans toute la Gaule l’infatigable activité du jeune césar, que sa vigilance contenait au loin les barbares, que son intraitable probité épouvantait les concussionnaires et les spoliateurs officiels, que sa justice faisait partout régner le droit. C’est vers ce simple palais que se tournaient l’admiration et la reconnaissance des Gaules, et que nos ancêtres ont envoyé les premières bénédictions qu’ils aient adressées à un prince. Les détails épars dans les histoires du temps nous permettent de nous figurer encore cet intérieur austère. Voici la chambre toujours sans feu l’hiver sous ce climat pourtant si rigoureux pour un Grec et un Oriental, voici la table où on ne servit jamais que la nourriture du soldat, le lit composé d’un tapis et d’une peau de bête, petit lit qu’ont rendu célèbre la plus sévère chasteté et de si courts sommeils. Dans cette chambre qui était un cabinet de travail pour le général et un oratoire pour l’ardent néophyte de la philosophie, Julien, après les fatigues du jour, faisait trois parts de ses nuits. La première était donnée au repos ; puis il s’occupait d’affaires, dictait ses lettres avec une telle rapidité que ses secrétaires n’y pouvaient suffire, enfin il se livrait aux charmes de ses études littéraires ou philosophiques. Alors il montrait une incroyable ardeur à gravir les sommets les plus ardus de la science, et, comme dit Ammien Marcellin, « sa pensée toujours tendait à s’élancer au--