Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Rien n’est égal à la ruine de ce pays que le roi rend à l’empereur; c’est entièrement désert et en friche. De dix villages, à peine y en a-t-il deux où il y ait une ou deux maisons habitées. » Hélas! ce n’était pas seulement contre lui que Louvois par de tels actes soulevait de justes malédictions, il semait en Europe la haine du nom français.

Aux cruautés de la guerre succédèrent les violences de la paix. Ce que notre gouvernement n’avait pu obtenir par le traité de Nimègue, il le reprit par les « réunions, » les « exécutions pacifiques; » l’on dirait aujourd’hui « annexions, exécutions fédérales, saisies de gages matériels. » C’est ainsi que Louvois s’empara de Strasbourg (Dieu l’absolve pour cette fois!), de Casal, de Luxembourg, etc. Une des raisons qui le portaient à multiplier ces occupations définitives ou temporaires, c’était la nécessité de subvenir à ce que, déjà alors, avec le seul mot « budget » de moins, on appelait « l’extraordinaire; » on n’avait pas encore trouvé le moyen de couvrir les dépenses militaires à coups d’emprunts, le grand art était de les faire supporter à l’ennemi, au moins à l’étranger. Mais sans rien désorganiser, tout en conservant même les moyens d’exécuter les prétendus arrêts du parlement de Metz et du conseil souverain de Brisach, on aurait pu diminuer les charges, réduire l’effectif. A quoi donc étaient employées tant de troupes? Au détournement de la rivière d’Eure et aux dragonnades.

Jusqu’à quel point, des hommes levés ou enrôlés pour faire le métier de soldat peuvent-ils être employés à d’autres travaux que ceux qui font rigoureusement partie du métier de soldat? En ce qui regarde même les fortifications, les routes stratégiques, quelle est la limite, durant la paix surtout? C’est un problème difficile à résoudre. Si du moins le travail procure à la troupe une paie plus forte, une nourriture plus abondante, une augmentation de vigueur et de bien-être, on peut ne pas trop approfondir la question et se montrer coulant sur le principe; mais, lorsqu’on voit toute une armée retenue pendant deux ans dans les marais où la fièvre la décime pour faire marcher des jets d’eau, on se croit ramené au temps des Pharaons. Quant aux dragonnades, ce mot seul en revenant sous la plume réveille l’indignation qu’on croyait avoir épuisée. Il nous faut bien en parler. Par une détestable confusion d’attributions, Louvois avait fait réunir les affaires des réformés au ministère de la guerre, et nous devons rappeler quelles furent, au point de vue militaire, les conséquences de la révocation de l’édit de Nantes. Elle fit passer à l’ennemi 8 ou 9,000 de nos meilleurs matelots, 5 ou 6,000 bons officiers, 19 ou 20,000 de nos soldats les plus aguerris. Ce n’est pas tout : les régimens dissémi-