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en vain ses services. On l’a vu se dépouiller en plein hiver de sa grosse veste de drap pour couvrir dans un wagon une mère entourée de ses enfans, et réchauffer les petits doigts rouges des innocens transis entre ses mains endurcies par les cordages. Une Anglaise qui voyageait par la mauvaise saison avec très peu d’argent et une nombreuse famille raconte avoir été en quelque sorte sauvée par un marin qui prit soin d’elle et de sa couvée avec un désintéressement digne des anciens preux. Et comme elle lui demandait le nom de son bienfaiteur : « Bah! dit-il, lorsque vous entendrez rugir l’aquilon et que vous verrez briller l’éclair, vous penserez à Jack qui sera sans doute alors sur les vagues. » Malheureusement cet instinct généreux entraîne quelquefois le matelot anglais dans de curieuses erreurs. En voici un exemple. Un marin qui venait de recevoir sa paie et de traiter ses amis passait la nuit dans une rue, quand une femme lui déroba sa montre et sa bourse. L’ayant saisie sur le fait, il remit la voleuse entre les mains d’un agent de l’autorité qui la conduisit à la station de police. Chemin faisant, les pleurs et les cris de cette femme attendrirent tellement le pauvre loup de mer qu’il pria chaudement le policeman de rendre la liberté à cette malheureuse. Sourd à de telles instances et même à une offre d’argent, le gardien de la ville refusa de trahir son devoir ; mais, touché lui-même de l’émotion du marin, il l’avertit charitablement que selon la loi anglaise la détenue serait délivrée le lendemain matin, si nul ne paraissait contre elle devant le magistrat. C’était du moins une consolation, et pourtant Jack avait toujours sur le cœur d’avoir fait de la peine à une femme. Il se mit donc à rôder toute la nuit autour de la station de police, regardant une certaine fenêtre grillée de barreaux de fer et prêtant l’oreille avec remords aux sanglots de la prisonnière, qui était là par la faute d’un marin anglais. Enfin l’aube parut. Le magistrat ne tarda guère à prendre son siège, et les personnes arrêtées durant la nuit furent amenées une à une devant son tribunal. Il ne restait plus qu’une femme à interroger, et comme aucun plaignant ne vint déposer contre elle, elle fut mise en liberté. Cependant Jack l’attendait à la porte un papier à la main : c’était une dispense de bans (marriage licence) qu’il avait envoyé chercher lui-même à Doctor’s Commons, l’endroit où se délivrent ces sortes d’actes. Ils se rendirent aussitôt à l’église, où le marin raconta naïvement au ministre les motifs de sa prompte et bizarre résolution. « Il avait, disait-il, un cauchemar sur la conscience, et il voulait épouser cette femme parce qu’il avait été la cause de ses chagrins… » Le clergyman essaya vainement de le détourner d’une entreprise si aventureuse, ils furent