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dans la république argentine auraient été d’environ 25,000 ; mais à eux seuls les Euskariens dépassaient sans nul doute le chiffre indiqué[1].

La grande ambition des Basques étant de s’enrichir, il est tout naturel qu’ils aient le désir de rentrer un jour en personnages dans la patrie qu’ils avaient quittée jadis comme de pauvres paysans. C’est là un vœu qui se réalise pour un petit nombre seulement des émigrés : plusieurs succombent sans pouvoir s’acclimater sous le ciel pourtant si doux de Buenos-Ayres, et ceux qui survivent sont presque tous retenus dans leur nouvelle patrie par les soucis du travail et de la famille. Les rares élus de la fortune assez heureux pour revenir en Europe s’empressent d’acquérir quelque maison de campagne environnée de bois, ou bien se font bâtir sur une colline un petit château de plaisance d’où ils pourront voir à leur aise le village natal. Jusque dans les vallées les plus difficiles d’accès, on trouve de ces maisons appartenant à des « Américains, » anciens colons de la Plata.

C’est à près de deux mille par an que l’on peut évaluer le nombre des Basques français et espagnols qui s’expatrient[2]. Trop peu nombreux pour créer une autre Biscaye dans le Nouveau-Monde ou même pour garder leur langue au milieu de ces populations d’origine diverse qui prennent toutes l’espagnol pour idiome commun, les Euskariens de la Plata sont désormais complètement perdus pour le nom et la nationalité basques. Plus que tous les autres immigrans, Suisses, Allemands, Anglais ou Américains du Nord, ils gardent leur fraternité de race et de langue ; les jours de fête, ils ne manquent jamais de se réunir en foule pour jouer à la paume et chanter les hymnes de la patrie ; mais, en dépit de leur esprit de corps, ils n’en finissent pas moins par devenir Hispano-Américains, et leurs familles entrent par les croisemens dans cette jeune race du nouveau continent où sont représentés la plupart des habitans de la terre depuis les nègres jusqu’aux Guaranis. Et non-seulement les Basques de Montevideo et de Buenos-Ayres ne se maintiendront pas en groupes distincts sur les rives de la Plata, mais par le fait même de leur émigration le reste de nationalité qu’ils laissent derrière eux est exposé presque sans défense aux envahissemens des sociétés voisines. En effet, dans le pays basque comme en Irlande et dans l’Allemagne du nord, la majorité de ceux qui s’en

  1. M. Martin de Moussy, l’écrivain le plus compétent en pareille matière, pense que les Basques des bords de la Plata sont, avec leurs enfans, au nombre de plus de 50,000.
  2. En 1865, les ports de Bayonne et de Bordeaux, où s’embarquent les émigrans du sud-ouest de la France, presque tous Basques et Béarnais, ont expédié à Buenos-Ayres 59 navires portant 2,609 personnes. Dans les ports du nord de l’Espagne, on a enregistré le départ de 4 navires emmenant 441 futurs colons de la république argentine.