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son stratagème, le marquis fit signe à un des assistans, qui se coula chez l’aimable offensée et la mit en mesure de recevoir convenablement les soumissions que notre faux ivrogne lui apporta bien complètes, dès qu’il fut en état de se présenter devant elle.

Au dîner qui suivit de près cette scène jouée de part et d’autre avec le plus merveilleux sang-froid, la comédie se compliqua des maladresses d’un tiers qui, bon jeu bon argent, et sans songer à y prendre un rôle, semblait vouloir tout gâter. C’était le procureur fiscal de la terre de MM. de Novion, à qui son patron avait donné place dans son carrosse pour le ramener en sûreté jusqu’à Paris, où il venait se justifier d’avoir mal à propos tué quelque manant. Ce personnage, Normand d’origine et n’ayant jamais bu que le cidre de son pays, tenait sans doute à déshonneur de se laisser étourdir par les fumées du vin, car il ne voulut jamais convenir que son patron eût agi sous l’influence de la boisson. — Nenni, disait-il, nenni; monseigneur savait bien ce qu’il faisait. Pensez-vous qu’il soit homme à se colérer ainsi pour un méchant verre de piquette?... Et jamais on ne l’eût fait taire, si l’on n’eût changé de discours en prenant à partie Mlle de ***, qui la veille s’était laissée tomber à la chasse. Cette chute, heureuse ou malheureuse, donnait matière à gloser, et M. de Novion, faisant mine de prendre gaîment les commentaires qu’elle suggérait, vidait coup sur coup, par pleines rasades, le vin de son hôte. — Il est perfide, disait-il, je veux donc m’y habituer. — Et peu s’en fallut que, pour rendre vraisemblable son ivresse de la veille, il ne se grisât cette fois tout de bon. Le marquis, redoutant quelque autre algarade, crut y devoir mettre obstacle en levant la séance, après quoi, l’ordre ayant été donné de faire tenir les chevaux aux carrosses, toute cette belle compagnie partit pour s’en revenir à Paris.

M. de Novion, nonobstant la bonne humeur qu’il affectait, et celle que lui donnait en réalité la croyance où il était d’avoir habilement dupé son monde, rapportait chez lui un grand fonds de jalousie et d’inquiétude qui lui fit dès ce moment vouer au marquis une véritable haine. Ce dernier n’avait guère à s’en occuper, vu l’inconsistance du personnage, son très mince crédit personnel, et le mépris dont le préservait à peine la considération due au rang de son père; mais le président, instruit par ses espions de ce qui s’était passé au château de Fresne, réclama des éclaircissemens plus complets, et, d’après ce que son fils lui dit à cet égard, il ne manqua pas, sa jalousie aidant, de supposer à sa bru les torts les plus graves. Il n’en fallait pas tant pour le déterminer à conspirer la perte de M. de Fresne, qui devint pour lui, dès cette époque, le rival le plus redoutable et le plus odieux. Animé des mêmes pas-