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Et cependant cette armée, ainsi façonnée à la hâte, a déjà pris Ratisbonne; elle descend le Danube. Un seul corps, celui du vainqueur d’Auerstedt et d’Eckmuhl, a conservé son ancienne organisation. Pour donner de l’ensemble et de l’élan aux autres, Masséna et Lannes sont là; Macdonald marche à côté du brave et modeste Eugène. Les troupes supportèrent vaillamment l’épreuve d’Essling, elles triomphèrent à Wagram; mais la Providence n’épargnait pas les avertissemens à Napoléon. Lui-même disait qu’il ne pouvait plus tenter ce qu’il avait risqué avec les soldats d’Austerlitz, les actions étaient bien plus disputées; les généraux devaient payer beaucoup de leur personne. Lorsque dans cette même journée de Wagram le corps de Masséna fit un à-gauche pour réparer l’échec de la division Boudet, et que l’armée d’Italie le remplaça au centre, celle-ci s’avança dans un ordre profond de bataillons déployés les uns derrière les autres « à distance de masse, » le même ordre qui devait être si funeste au corps de d’Erlon le 18 juin 1815. Longtemps après, le maréchal Macdonald expliquait les motifs qui lui avaient fait prendre cette disposition tant critiquée : il avait observé des symptômes alarmans; l’appel répété plusieurs fois avait constaté que le nombre des absens allait croissant dans une proportion que n’expliquaient point les pertes essuyées par le feu. « Quoi! s’écria un des assistans, voulez-vous dire que nos soldats n’étaient plus aussi braves?» Le maréchal réfléchit un moment, puis, avec son accent honnête et simple: « Si, répliqua-t-il, nos soldats étaient aussi braves, mais ils n’étaient plus cousus ensemble.» De même que la grande armée était allée s’épuiser en Espagne, l’armée de Wagram alla s’ensevelir sous les neiges de la Russie. Nous n’avons à parler de cette colossale expédition que pour rappeler son caractère particulier au point de vue de l’organisation. C’était une croisade avec l’ordre de plus et la foi de moins; l’Europe militaire suivait l’empereur en maudissant son pouvoir. Les troupes purement françaises qui traversèrent le Niémen en 1812 étaient dans des conditions meilleures qu’au début de la guerre de 1809 : pour reprendre l’expression de Macdonald, elles étaient mieux cousues ensemble; mais elles étaient comme enchevêtrées au milieu de troupes étrangères. Il y avait des corps entiers de Bavarois, de Saxons, de Westphaliens, il y avait des divisions étrangères dans tous les corps d’armée français, et dans presque toutes les divisions françaises il y avait des bataillons de langue et de nationalité diverses, Badois, Espagnols, Hollandais, Croates, Anséatiques, etc. Tout en s’inclinant devant les motifs impénétrables qui ont pu provoquer les résolutions du génie, l’humble bon sens se demande quelle confiance pouvait inspirer une semblable distribution; il s’étonne de voir incorporer dans nos rangs jusqu’à 60,000 réfrac-