Les récits de M. Amédée Thierry sur l’histoire romaine sont si bien liés entre eux qu’après avoir charmé les lecteurs sous la forme d’articles détachés, ils se réunissent tout naturellement les uns aux autres et deviennent des livres. En lisant celui qu’il vient de publier sous le titre de Trois Ministres des fils de Théodose, on a vraiment quelque peine à croire qu’il ait paru d’abord par fragmens isolés, tant il forme un ensemble serré, tant les diverses parties qui le composent marchent au même but. Il contient l’histoire de l’empire romain dans la dernière crise qui décida sans retour de sa ruine. Cette ruine ne s’est pas accomplie d’un seul coup. Rome a mis presque aussi longtemps à mourir qu’à croître ; sa grandeur et sa décadence ont marché du même pas. Son empire n’était pas, comme celui d’Alexandre, une improvisation d’un jour, qu’un jour a détruite. Il avait grandi lentement. Les élémens divers dont il était formé avaient eu le temps de se fondre ensemble ; le temps seul a pu les séparer. Les contemporains de Tibère et de Néron avaient déjà le sentiment que la puissance de leur pays était à son déclin. Tacite, en rencontrant les barbares, a semblé comprendre qu’ils seraient les héritiers de Rome ; mais ils ont attendu trois siècles cet héritage : Rome ne le leur a pas cédé sans combat. Ce qui démontre le mieux la forte constitution et le solide tempérament de cet empire immense, ce qui prouve qu’il n’était pas seulement, comme on le dit quelquefois, un assemblage de hasard et l’œuvre d’un génie médiocre, c’est la longue résistance qu’il opposa à toutes les causes qui travaillaient à le dissoudre, ce sont surtout ces retours soudains de sève et de vie qui surprennent dans ce corps épuisé. Jusqu’aux derniers momens de son existence, quand sa situation semblait le plus désespérée, on voyait naître tout d’un coup quelque homme de génie qui retardait sa fin. Théodose fut le dernier. M. Amédée Thierry commence son récit à la mort de ce grand prince, au moment où la décadence qu’il avait arrêtée reprend son cours. Il nous fait voir ce que ses successeurs et leurs ministres firent pour la suspendre ou pour la précipiter, et son récit se termine par un tableau dramatique de la prise de Rome, qui fut la consommation de cette ruine vers laquelle on s’acheminait depuis trois siècles.
L’époque dont M. Thierry nous entretient est une des plus sombres qu’on puisse imaginer, et l’esprit éprouve d’abord quelque répugnance à s’y arrêter. Il aime mieux étudier Rome à d’autres momons de sa vie. Il se sent attiré davantage vers cette jeunesse énergique où elle a déployé de si viriles qualités, un si grand sens politique, tant de sagesse et de raison[1], ou
- ↑ Puisque l’occasion s’en présente, on me permettra de recommander à l’attention des lecteurs sérieux un livre austère, où les questions que soulève cette première organisation du peuple romain sont traitées avec une grande science de détail, l’Histoire des Chevaliers romains de M. Émile Belot, professeur au lycée de Versailles. Ce livre aboutit à un système radical ; il combat bien des opinions reçues. On peut penser ce qu’on voudra des conclusions de l’auteur, et je prévois qu’il ne convertira pas tout le monde ; mais personne ne lui refusera une connaissance profonde des sources et beaucoup de finesse et d’habileté dans la façon de les interpréter. C’est un de ces travaux courageux qui ne sollicitent pas la faveur publique et méritent pourtant de l’obtenir.