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PEINTRES MODERNES
DE LA FRANCE

JEAN-DOMINIQUE INGRES

Lorsque la nouvelle se répand qu’une grande existence vient de se terminer, lorsque la mort s’empare à côté de nous d’un homme privilégié par son génie ou par son rang, notre premier sentiment est ce sentiment de surprise que nous inspire en général, et malgré l’expérience de chaque jour, la fin de toute vie humaine. Il semble que le moins imprévu, le plus inévitable des événemens prenne, au moment où il se produit, le caractère d’une exception, et, comme dit Bossuet dans son tout-puissant langage, en apprenant que celui qu’on a connu n’est plus, « chacun d’abord s’étonne de ce que ce mortel est mort. » La perte que notre pays a faite de M. Ingres a eu pour tout le monde cette apparence d’étrangeté, et, sans parler de ce qu’elle laisse d’irréparable, elle légitimait d’autant mieux l’étonnement, qu’on avait dû, pour plus d’un motif, la croire moins rapide et moins prochaine. Ceux qui avaient accès auprès de l’illustre maître aussi bien que les admirateurs ignorés de lui, les amis ou les élèves qui le voyaient vivre comme ceux qui se fiaient de loin à l’invincible santé de son esprit et de son corps, tous ont été pris au dépourvu par cette mort sans déclin, sans signes avant-coureurs, sans aucun des avertissemens vulgaires qui auraient pu en compromettre la dignité ou seulement en dénoncer les approches. Mort hardie et fière comme l’âme qu’elle saisissait, coup