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classement sommaire, Ingres a été réduit à la condition de « volonté. » Volonté, soit ! Mais singulièrement servie par d’admirables instincts. Est-ce à force d’empire sur soi, est-ce en voulant seulement, qu’on se rend capable de peindre l’Œdipe à vingt-six ans ou la Source à près de quatre-vingts ? Le sentiment inné, l’émotion involontaire et naturelle ont-ils une part moindre que les calculs de la raison dans tant d’autres chefs-d’œuvre inspirés au maître par le spectacle direct ou par les souvenirs de la réalité ?

Non, tout en reconnaissant ce que la science et l’expérience ont ajouté au génie d’Ingres, il faut reconnaître aussi que ce génie privilégié emprunte de son propre fonds ses ressources principales et le meilleur de son éloquence, qu’il suit une vocation bien plutôt qu’une loi imposée, qu’en un mot, convaincu de bonne heure et pour jamais, il n’est resté si fidèle à lui-même que parce qu’il aimait d’une passion tout instinctive les doctrines qu’il avait embrassées. Ingres, avec sa foi invariable, avec l’intraitable énergie de son dévouement au beau et au vrai, Ingres est avant tout un croyant. Voilà ce qui ressort de sa vie et de ses ouvrages et la moralité essentielle qu’il en faut tirer ; c’est par là que les exemples qu’il a laissés nous seront profitables, en dehors de l’admiration à laquelle ils ont droit par eux-mêmes. Ils nous rappellent une fois de plus qu’on n’est un artiste qu’à la condition de se donner, de se sacrifier tout entier, qu’il n’y a en pareil cas ni degrés dans le zèle ni demi-mesures dans la pratique, et qu’en matière d’art, comme dans une sphère plus haute encore, le gain des combats de la vie est promis aux cœurs de bonne volonté, et le royaume de la gloire aux violens.


HENRI DELABORDE.