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Tels sont, dans une durée de moins d’un quart de siècle, les états de service de ce patronage, qui a tant contribué à mettre l’industrie sur le pied où nous la voyons. Sans y insister, il est aisé de comprendre quels liens il créait entre le chef et l’ouvrier, et quel effet d’apaisement il devait produire même sur ceux qui y paraissaient le plus réfractaires. Dût-il disparaître, il faudrait encore le saluer d’un regret et en souhaiter les équivalens. Les reproches qu’on fait à ce patronage sont en vérité bien futiles. On l’accuse de ne pas assez ménager la dignité de l’ouvrier et de lui infliger en masse, sans qu’il puisse s’en défendre, une aumône déguisée. Ce sont là de singuliers points d’honneur. De ce qu’il peut se suffire, le gros des ouvriers tirerait donc cette conclusion, qu’on l’humilie quand on se porte au secours de ceux qui ne se suffisent point. Les casuistes, il est vrai, concilient tout en déclarant que les largesses des chefs d’industrie ne sont que des restitutions et encore des restitutions insuffisantes ; mais les raffinés ne se paient pas de ces défaites : il leur répugne d’être à un titre quelconque et même indirectement les obligés de ceux dont demain peut-être ils deviendront les adversaires. Le bienfait à leurs yeux ne peut s’exercer que de supérieur à subalterne, et ils n’admettent plus, en principe du moins, cette inégalité de positions. Volontiers même ils renverseraient les termes des rapports autrefois admis : dans le contrat qui intervient entre l’ouvrier et le patron, c’est le patron qui à leur sens sera désormais l’obligé. Dans tous les cas, le temps serait venu de traiter de puissance à puissance.

On s’abuserait de croire que ce sont là des propos isolés tenus par quelques énergumènes. C’est le ton qui domine, à Paris du moins, depuis que les ouvriers s’abouchent entre eux plus librement, et à la manière dont les mots d’ordre circulent ce sera bientôt le ton des grands foyers d’industrie dans nos provinces. Rien là qui ne fût à prévoir ; il devait en être ainsi le jour où l’ouvrier comprendrait quel parti il peut tirer d’un droit nouveau pour lui, le libre débat du salaire. La première conséquence de ce droit était d’effacer ou du moins de diminuer les distances entre le patron et l’ouvrier, la seconde était de porter au régime du patronage un coup dont il se relèvera difficilement. Le patronage suppose un client, et comment y persister dès que le client s’y refuse ? On n’oblige pas les gens malgré eux : ils s’y prêteraient, qu’il faudrait y regarder à deux fois avant de le faire. Le caractère des rapports a évidemment changé, et l’exercice des industries s’est compliqué d’un nouveau risque, les grèves. Or la part naturelle des grèves est précisément ce fonds de bienfaisance qui, converti en institutions au profit des plus dénués, formait l’équivalent et au-delà