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de faire souffrir une pauvre fille qui l’aimait. Une malicieuse le tirait à part et lui murmurait à l’oreille : — On prétend que vous n’osez pas demander Adda Kolb parce qu’elle est trop riche. Rassurez-vous ; je tiens de mon notaire que la dot et le trousseau ne font pas même vingt mille écus. La position que vous occupez vous permettrait de trouver le double.

Un soir que l’inquisition des bavardes l’avait plus agacé que de coutume, il s’arrêta au bord de l’Ill avant d’ouvrir sa porte et descendit résolument en lui-même. Il s’adressa, parlant à sa personne, les questions dont le monde le persécutait depuis un mois.

« Eh bien ! oui, répondit-il, je veux me marier ; oui, j’ai compris qu’il était temps d’en finir avec la vie creuse du célibataire. Quelques années encore, et je serais un vieux garçon, un de ces égoïstes qui sèment fatalement l’égoïsme autour d’eux. Oui, je me sens encore assez de jeunesse et de santé pour fonder une vraie famille. Oui, Mlle Kolb est entre toutes celles que j’ai rencontrées celle qui me convient et me plait. Est-ce que je l’aime d’un amour passionné, comme dans les romans ? Je n’en sais rien, mais tous mes sentiments et toutes mes pensées depuis un an gravitent autour d’elle. J’ai la plus haute estime et le goût le plus prononcé pour son père, pour ses parents, pour cette honorée maison Kolb : ma gloire et mon bonheur seraient d’en être ; mais Adda m’aime-t-elle ? Modestie à part, il me semble qu’elle me voit avec plaisir. Je n’entre pas dans le salon sans que sa figure s’illumine ; elle se porte au— devant de moi comme je cours à elle, par une sorte d’entraînement ou d’instinct. Jamais mon regard ne cherche le sien sans le rencontrer au moment même. Dans les danses où la femme choisit l’homme, elle me prend toujours pour cavalier. Lorsqu’on parle de mariage, elle ne se prive pas de dire devant moi, qu’elle voudrait un mari raisonnable et savant. Le jour où je suis venu annoncer ma nomination à la chaire de pathologie interne, elle avait les larmes aux yeux, je l’ai vu. L’été dernier, à l’usine de Hagelstadt, quand nous avons dansé au bord de l’eau, qu’est-ce qui s’est passé ? Le fils Axtmann accrochait des lanternes de papier aux basses branches du tilleul ; le lieutenant Thirion adaptait avec soin l’embouchure de son cornet à piston, et l’avocat Pfister accordait son violon : je vis Adda qui rabattait sur sa figure un petit voile de dentelle noire. Je lui demandai si elle avait froid. Non, dit-elle en riant, c’est une précaution que je prends pour qu’on ne me voie pas rougir, si vous me disiez quelque chose. — A Dieu ne plaise, répondis-je, que jamais une de mes paroles expose Mlle Kolb à rougir ! — Je le sais bien, monsieur Henri, et c’était une mauvaise plaisanterie, me la